76.
Mais c'est dans la vue et la contemplation de la vérité que consiste le septième et dernier degré de la puissance de l'âme; ou plutôt ce n'est pas un degré, c'est une demeure où conduisent ces degrés. Comment exprimer quelle est alors la joie de l'âme, combien elle goûte le bien suprême et véritable, quel reflet tombe sur elle de sérénité et d'éternité? De grandes et incomparables âmes ont parlé de ce bonheur autant qu'elles l'ont jugé convenable, et nous croyons qu'elles en étaient, qu'elles en sont encore témoins. Ce que maintenant j'ose te dire, c'est qu'en poursuivant avec constance la course que Dieu nous commande et que nous avons entreprise, nous parviendrons par la vertu et la sagesse de Dieu à la cause souveraine, au souverain auteur, au principe souverain de toutes choses, à cet Etre incomparable auquel il est possible peut-être de donner un nom plus convenable.
Or, en le voyant nous verrons réellement combien sous le soleil tout est vanité des vaniteux1. La vanité est-elle, en effet, autre chose que la tromperie, et les vaniteux sont-ils autre chose que des trompés ou des trompeurs, ou bien des trompés et des trompeurs tout à la fois? On peut néanmoins remarquer aujourd'hui combien diffère ce qui est ainsi sous le soleil et ce qui existe véritablement; comment Dieu a créé aussi les êtres de ce monde; ils ne sont rien en comparaison des biens éternel:, quoique considérés en eux-mêmes ils soient beaux et admirables. Nous connaîtrons alors combien est véritable ce qu'il nous est commandé de croire, combien nous étions heureux et favorisés d'être nourris au sein de l'Eglise notre mère, combien nous était salutaire ce lait mystérieux que l'apôtre Paul a déclaré nous avoir donné pour breuvage2. Prendre cet aliment lorsqu'on est encore aux bras de sa mère, c'est chose fort utile; quand on a grandi, ce serait humiliant, il faudrait plaindre celui qui le repousserait quand il en a besoin; regarder comme coupable et comme impie celui qui en viendrait à le mépriser et à l'avoir en horreur. Mais quelle charité et quelle gloire dans celui qui le prépare et le sert convenablement !
Nous verrons aussi de tels changements, des transformations si heureuses dans cette nature corporelle quand elle est soumise aux lois divines, que la résurrection elle-même admise difficilement par les uns, traitée de fable par les autres, nous paraîtra au moins aussi certaine que nous sommes sûrs du lever du soleil après son coucher. Quant à ceux qui se rient de l'incarnation jusqu'à laquelle s'est abaissé, pour être le modèle et les prémices de notre salut, le Fils tout-puissant, éternel et immuable de Dieu; qui tournent en dérision sa naissance d'un sein virginal et les autres miracles de sa vie, nous les mépriserons comme on méprise ces enfants qui, après avoir vu un peintre copier des tableaux, s'imaginent qu'on ne saurait faire le portrait d'un homme sans en avoir sous les yeux un autre portrait. Mais quelles délices dans cette contemplation de la vérité, sous quelque aspect qu'on puisse l'envisager ! quelle pureté ! quelle clarté! quelle indubitable certitude ! Quoi qu'on ait cru savoir, on estimera n'avoir jamais rien su en comparaison de cette vérité; et pour donner à l'âme une facilité plus grande d'y adhérer plus amplement et plus entièrement, au lieu de craindre comme auparavant la mort, c'est-à-dire la séparation complète d'avec le corps, on la désire comme une faveur suprême.