8.
Aug. Dis-moi, je te prie, si ce que nous appelons mémoire, te paraît un mot vide de sens. — Ev. A qui paraîtrait-il ainsi ? — Aug. Crois-tu qu'elle appartienne à l'âme ou bien au corps? — Ev. Le doute à ce sujet devient ridicule. Qui pourrait croire qu'un cadavre a de la mémoire ou de l'intelligence ? — Aug. Te souviens-tu enfin de la ville de Milan? — Ev. Il m'en souvient très-bien. — Aug. Et maintenant, puisque nous en parlons, te souvient-il de sa grandeur, de sa configuration? — Ev. Il m'en souvient parfaitement , nul souvenir n'est chez moi plus frais et plus complet. — Aug. Ne la voyant point des yeux, tu la vois donc de l'esprit? — Ev. Oui. — Aug. Tu vois aussi, je présume, à quelle distance elle est de nous à présent. — Ev. Oui encore. — Aug. Tu vois alors, par l'esprit, cette même distance des lieux. — Ev. Oui.— Aug. Comme donc ton âme est dans ton corps et qu'elle ne s'étend point au-delà de l'espace qu'il occupe, d'où vient qu'elle voit tout cela? — Ev. Cela se fait par le moyen de la mémoire, je pense, et non parce que l'âme est présente en ces lieux. — Aug. Les images de ces lieux sont donc gravées dans la mémoire? — Ev. Je le pensé : car j'ignore ce qui s'y fait, et je ne l'ignorerais pas si mon esprit s'étendait jusqu'en ces lieux et les voyait présents. — Aug. Ce que tu dis me semble vrai; mais ces images représentent vraiment des corps. — Ev. Cela est nécessaire, car les villes et les terres ne sont rien autre que des corps.