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Puisqu'il en est ainsi, essayons d'aller au delà des nombres de jugement, si nous le pouvons, et examinons s'il n'y en a pas d'autres qui leur soient supérieurs. Sans doute ils ne nous laissent point apercevoir les intervalles du temps : toutefois ils ne servent qu'à juger les mouvements qui ont lieu dans la durée, et ceux-là seulement qui peuvent être associés par la mémoire. Aurais-tu quelque objection à me présenter? — L’E. Je suis singulièrement frappé des propriétés et de la puissance des nombres de jugement : c'est d'eux que semblent relever toutes les fonctions des sens. Ainsi quelle espèce de nombre pourrait-on découvrir au-dessus d'eux? Je ne le vois pas. — Le M. Nous ne risquons rien en cherchant avec une attention nouvelle. Car, ou nous découvrirons dans l'âme des nombres supérieurs aux nombres de jugement, ou nous nous convaincrons qu'ils sont les plus élevés, si leur supériorité nous est clairement démontrée. Ne pas exister, ou échapper à notre intelligence et à celle de tout autre homme, sont deux choses bien différentes. Mais que se passe-t-il quand nous chantons ce vers si connu de nous
Deus creator omnium1 ?
Nous l'entendons par les nombres de réaction, nous le reconnaissons par les nombres de mémoire, nous le prononçons par les nombres de progrès, nous en sommes ravis par l'effet des nombres de jugement , et nous l'approuvons à l'aide d'autres nombres cachés: oui , il la des nombres cachés qui s'élèvent après eux et qui décident souverainement de ce ravissement même qui est comme la décision des nombres de jugement. Tu ne confonds pas sans doute le ravissement des sens et les appréciations de la raison. — L’E. Ce sont deux choses fort différentes, je l'avoue. Mais le mot me jette tout d'abord dans l'embarras: je ne vois pas trop pourquoi on n'appellerait pas plutôt nombres de jugement ceux qui renferment un élément de raison que ceux qui renferment un élément de plaisir; puis, j'appréhende fort que ces appréciations de la raison dont tu parles, ne soient qu'un jugement plus attentif qu'ils portent sur eux-mêmes ; par conséquent, loin qu'il y ait des nombres distincts pour le plaisir et pour la raison, ce sont les mêmes nombres qui, tantôt servent à apprécier les mouvements des organes, lorsqu'ils sont reproduits, comme nous l'avons démontré tout à l'heure, par la mémoire, tantôt s'isolent des organes pour s'apprécier eux-mêmes avec plus d'élévation et de pureté.
C'est le premier vers de l'hymne de saint Ambroise : Augustin l'avait souvent entendu chanter à Milan. ↩
