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Ainsi donc, puisque notre but est d'analyser les lois de la musique, malgré ton ignorance de la quantité des syllabes, nous pouvons ne pas nous laisser arrêter par cette ignorance, et partir de l'observation que tu as faite, dis-tu, de la durée plus ou moins longue des syllabes. Je te demande donc si parfois la cadence des vers n'a pas fait sur tes oreilles une impression agréable. — L’E. Très-souvent, au contraire, et ce n'est jamais sans plaisir que j'entends un vers. — Le M. Si dans un vers qui t'a charmé, on allonge ou on abrége une syllabe, à un endroit où le rythme de ce vers ne l'exige pas, ton oreille est-elle également flattée ? — L’E. Loin de là, je ne saurais m'empêcher d'en être choqué. — Le M. Ainsi, nul doute ; dans le son qui te charme, ton plaisir vient d'une certaine mesure dans les nombres, et, cette mesure une fois rompue, ton oreille n'est plus flattée. — L’E. C'est incontestable. — Le M. Continuons d'examiner le son du vers et dis-moi quelle différence tu trouves quand je prononce:
Arma virumque cano qui Trojae primus ab oris,
ou :
Qui primus ab oris.
L’E. Relativement à la mesure, je trouve le même son. — Le M. Cela tient à la manière dont j'ai prononcé; j'ai fait ce que les grammairiens appellent un barbarisme : Dans primus la première syllabe est longue, la seconde brève : dans primis, les deux syllabes sont longues; or j'ai abrégé la dernière, et ton oreille n'a pas été choquée. Renouvelons donc cet essai pour voir si tu reconnaîtras, à ma prononciation, la quantité longue ou brève des syllabes : notre discussion pourra alors marcher selon notre but, par demandes et par réponses. Je vais répéter le vers où j'ai fait un barbarisme et, selon les règles des grammairiens, je rendrai longue la syllabe que j'avais faite brève, pour ne pas offenser ton oreille. Dis-moi donc si cette manière de mesurer les vers, te cause le même plaisir quand tu m'entends prononcer :
Arma virumque cano Trojae qui primis ab oris.
L’E. Je ne saurais le nier : il y a dans ce son je ne sais quel défaut qui me choque. — Le M. Ce n'est pas saris raison :bien qu'il n'y ait plus de barbarisme, il y a un défaut que la grammaire et la musique peuvent également critiquer; la grammaire, parce que ce mot, dont la dernière syllabe est longue, se trouve placé où il faut une brève; la musique, parce que la prononciation est longue où elle doit être brève, et qu'ainsi levers n'a pas duré le temps exigé par le rythme. Si maintenant tu comprends les exigences différentes de l'oreille et de l'autorité, il nous reste à voir par quel mystère l'oreille est tantôt flattée, tantôt blessée par les sons longs ou brefs. Voilà, en effet, ce qui a rapport à la durée plus ou moins longue dont nous avons entrepris l'explication, si tu t'en souviens. — L’E. Je comprends la distinction, de plus j'ai bonne mémoire, et j'attends avec la plus vive curiosité ce qui va suivre.
