XVI.
Et ne t'imagine pas que le Fils ait présidé seulement à la création du monde: tout ce qui a été fait depuis l'a été par lui. «Le Père, qui aime le Fils, lui a remis en main toutes choses.» Donc, il l'aime dès l'origine; donc il lui a remis en main toutes choses dès le commencement. Depuis que «le Verbe était en Dieu et que le Verbe était Dieu, toute puissance lui a été donnée au ciel et sur la terre. Le Père ne juge personne, mais il a remis tout jugement au Fils,» dès le commencement toutefois. En disant que toute puissance et tout jugement lui ont été donnés, que tout a été fait par lui, et que tout lui a été remis en main, il n'excepte aucune époque, parce que le mot tout serait une imposture, s'il y avait quelque temps d'excepté. Conséquemment, c'est le Fils qui a jugé dès le commencement, en brisant la tour de l'orgueil, en dispersant les langues, en châtiant l'univers par le débordement des eaux, «en faisant pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe le soufre et le feu, Seigneur du Seigneur.» C'est encore lui qui descendit souvent jusqu'à converser avec l'homme; lui qui, depuis Adam jusqu'aux patriarches et aux prophètes, préludant dès le commencement en vision, en songe, en image, en énigme, à l'œuvre qu'il devait poursuivre jusqu'à la fin, apprenait ainsi tous les jours. Et «quel autre Dieu a pu converser ici-bas avec les hommes,» que le Verbe qui devait s'incarner? Mais pourquoi apprendre ainsi tous les jours? Pour nous aplanir les routes de la foi; pour nous incliner, plus facilement à croire que le Fils de Dieu était descendu dans le monde, quand nous saurions que le passé avait déjà vu quelque chose de semblable; «car tout ce qui a été écrit, de même que tout ce qui a été fait, a été écrit et fait pour nous instruire, nous qui sommes à la fin des temps.» Voilà pourquoi aussi il connaît déjà dès ce moment les affections humaines, puisqu'il devait emprunter à l'homme sa double substance, sa chair et son ame. Regardez-le! «Il interroge Adam,» comme s'il ne savait pas où il est; «il se repent d'avoir créé l'homme,» comme si sa prescience ne l'avait pas averti d'avance; il éprouve Abraham, comme s'il ignorait ce qui se passe dans l' homme; a-t-il été offensé, il se réconcilie; et enfin les mille circonstances que les hérétiques reprochent à Dieu comme indignes de lui, afin de décréditer le Créateur, ignorant sans doute que tout cela convenait au Fils qui devait passer par toutes les souffrances humaines, la soif, la faim, les larmes, la naissance et jusqu'à la mort elle-même. C'est dans ce sens «que son Père l'a abaissé pour un moment au-dessous des anges.»
Mais les hérétiques eux-mêmes n'admettront pas que ce que tu attribues au Père, c'est-à-dire ses abaissements pour nous, convienne au Fils, puisque l'Ecriture déclare que l'un a été abaissé par l'autre, et non le même par lui-même. Mais que diras-tu s'il y en avait «un qui était couronné de gloire et, d'honneur,» et un autre qui couronnait, c'est-à-dire que le Père couronnait le Fils?
D'ailleurs, qui croira que ce même Dieu tout-puissant et invisible «que nul n'a jamais, vu ni ne peut voir; ce Dieu qui habite une lumière inaccessible, qui ne réside pas dans un palais bâti de la main des hommes; devant la face de qui la terre tremble et les montagnes se fondent comme la cire; qui prend dans sa main l'univers comme un nid d'oiseaux; qui a le ciel pour trône, la terre pour marche-pied;» dans lequel est renfermé tout espace, sans que lui-même soit borné par l'espace; qui est la dernière ligne de l'univers; qui croira que ce Très-Haut se soit, promené le soir dans le paradis, cherchant Adam; qu'il ait fermé l'arche après l'entrée de Noé; qu'il se soit, reposé chez Abraham sous le chêne de Mambré; qu'il ait, appelé Moïse du buisson ardent; qu'il se soit montré, lui quatrième, dans la fournaise du roi de Babylone; (mais que dis-je? le Fils de l'Homme y est appelé par son nom) si tout cela n'avait eu lieu en image, en énigme, et comme à travers un miroir? En vérité, ce qu'il faudrait rejeter par rapport à la personne du Fils, si cela 'était écrit, je ne le croirais pas, quand même cela serait écrit, par rapport au Père, que ces hérétiques font descendre dans le sein de la vierge Marie, placent devant le tribunal de Pilate, et enferment dans le tombeau de Joseph. Par là donc se manifeste toute leur erreur. Comme ils ignorent que dès le commencement l'ensemble des dispositions divines s'est accompli par le Fils, ils s'imaginent que c'est le Père qui s'est montré, qui a parlé, qui a opéré, qui a enduré la faim et la soif, (malgré cet oracle du prophète: «Le Dieu éternel ne connaît ni la faim, ni la soif,» à plus forte raison la mort et la sépulture; ) par conséquent qu'un seul et même Dieu, c'est-à-dire le Père, a toujours fait ce qui a été fait par le Fils.