2.
Mais où est cette heureuse vie ? où donc est-elle? Oh ! si elle existait, elle rejetterait les atomes d'Épicure. Oh ! si elle existait, elle saurait qu'il n'y a rien au-dessous du monde. Oh ! si elle existait, elle saurait que l'extrémité d'une sphère tourne plus lentement que son milieu, et autres choses semblables qui me sont pareillement connues. Mais comment et, à quel degré suis-je heureux, moi qui ignore pourquoi le monde est grand comme il est, avec des figures qui ne l'empêcheraient pas d'être infiniment plus grand ? Comment ne me dirait-on pas, ou plutôt comment ne serions-nous pas forcés d'avouer que les corps sont divisibles à l'infini, de manière que d'un corps, quel qu'il puisse être, il sortira toujours, pour former une grandeur déterminée, un nombre certain de petits corps? Ainsi donc, comme il n'y a pas de corps dont on doive dire qu'il est le plus petit possible, pourquoi dirions-nous que le monde est, si grand qu'un plus grand ne peut pas être? à moins par hasard qu'il n'y ait une importante vérité dans ce que je dis un jour secrètement à Alype, savoir que le nombre intelligible croît jusqu'à l'infini sans pouvoir subir cependant une diminution infinie, car on ne trouve rien au-dessous de l'unité, et qu'au contraire le nombre sensible (et quel nombre sensible y a-t-il que la quantité des corps?) peut diminuer et non pas croître jusqu'à l'infini. Et c'est pour-. quoi peut-être les philosophes font consister les richesses dans les choses intelligibles et la pauvreté dans' les choses sensibles. Quoi de plus malheureux en effet que de pouvoir toujours aller en diminuant? Et quelle heureuse richesse au contraire que de croître tant qu'on veut, d'aller où l'on veut, de revenir quand on veut, jusqu'où l'on veut, et de beaucoup aimer ce qui ne peut jamais diminuer ! Car quiconque comprend ces nombres n'aime rien tant que l'unité; ce qui n'est pas étonnant, puisque c'est par elle qu'on aime le reste. Mais, encore une fois, pourquoi le monde est-il grand comme il est? il pouvait l'être un peu plus ou un peu moins. Je l'ignore. Il est ainsi. Et pourquoi occupe-t-il tel point de l'espace plutôt que tel autre ? On ne doit faire sur cela aucune question, car une nouvelle question resterait toujours à faire. Ce qui me préoccupait beaucoup, c'est que les corps se divisent jusqu'à l'infini; peut-être y a-t-il été répondu, en parlant de la force contraire du nombre intelligible.