51.
Il faut prendre garde de franchir les bornes, en soutenant que non-seulement le corps cessera d'être mortel et corruptible par la gloire de la résurrection, mais que même il cessera d'être corps et deviendra esprit. Il y aurait alors deux esprits au lieu d'un, et s'il n'y avait qu'un esprit et que cette transformation ne fit pas une âme nouvelle ou n'y ajoutât rien, il serait à craindre que tout ceci n'aboutît qu'à l'idée que les corps ainsi transformés ne demeureraient pas immortels, n'existeraient plus et périraient entièrement. C'est pourquoi, en attendant qu'une recherche attentive fasse découvrir ce qu'on peut penser avec le plus de probabilité, à l'aide de Dieu et d'après les Ecritures, sur le corps spirituel après la résurrection , qu'il nous suffise de savoir que le Fils unique, Jésus-Christ homme, médiateur entre Dieu et les hommes 1 , voit te Père comme le Père le voit. Pour nous, ne nous efforçons pas de transporter de ce monde la concupiscence des yeux jusqu'à cette vue de Dieu qui nous est promise après la résurrection , mais attachons-nous pieusement à la poursuite de ce but en purifiant de plus en plus nos coeurs ; ne nous représentons pas Dieu avec une face corporelle, lorsque l'Apôtre nous dit que « nous voyons maintenant à travers un miroir, en énigme, et que nous verrons alors face à face, » et surtout lorsqu'il ajoute . « Maintenant je le connais en partie, mais alors je le connaîtrai comme il me connaît 2. » Si nous devons alors voir Dieu des yeux du corps, ce serait donc avec des yeux corporels qu'il nous voit aujourd'hui; « car, dit l'Apôtre, je le connaîtrai alors comme il me connaît. » Qui donc ne comprend que, dans ce passage, l'Apôtre a voulu aussi désigner notre face dont il dit ailleurs : « Mais nous, contemplant à face découverte la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire, comme par son divin Esprit 3 , » c'est-à-dire en passant de la gloire de la foi à la gloire de la contemplation éternelle ? C'est l'effet de cette transformation par laquelle l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour; l'homme intérieur 4, dont l'apôtre Pierre nous recommande de soigner l'invisible parure : «N'embellissez pas, dit-il, votre extérieur par la frisure des cheveux, par l'or, ou les perles, ou les riches vêtements, mais occupez-vous d'orner l'homme caché dans l'âme et qui, par ses vertus, est riche devant Dieu 5. » Car la face sur laquelle les Juifs, qui ne passent pas au Christ, ont un voile qui tombe dès qu'ils marchent vers lui, est découverte en nous lorsque nous sommes transformés en son image. Or l'Apôtre dit clairement : « Un voile a été mis sur leurs cœurs 6; » là est donc la face qui , dévoilée, nous permet de voir maintenant par la foi, quoique dans un miroir et en énigme, et nous permettra alors de contempler face à face 7.