39.
Moi qui écris ceci, j'ai beaucoup aimé et j'ai suivi, non point par mes forces, mais par la grâce de Dieu, le conseil de perfection que le Seigneur donne en ces termes au jeune riche : « Va, vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres, tu auras un trésor dans le ciel; et viens, suis-moi 1. » Cela ne me sera pas compté pour peu parce que je n'étais pas riche; les apôtres n'étaient pas riches non plus, eux qui les premiers nous ont donné cet exemple. Mais celui qui renonce à ce qu'il a et à ce qu'il pourrait souhaiter renonce au monde entier. Ce que j'ai fait de progrès dans cette voie, je le sais mieux que personne, mais Dieu le sait mieux que moi. J'exhorte les autres, autant que je le puis, à prendre cette résolution, et j'ai des compagnons à qui ce dessein a été inspiré par mon ministère. Mais en conseillant cet état parfait, nous n'avons garde de nous écarter de la saine doctrine, ni de condamner avec une vaine arrogance ceux qui n'en font pas autant; nous ne leur disons point qu'il lie leur sert de rien de se conduire chastement dans le mariage, de gouverner chrétiennement leurs maisons et leurs familles, de se préparer un trésor dans l'avenir par des oeuvres de miséricorde : en parlant ainsi, nous ne serions pas les commentateurs, mais les accusateurs des saintes Ecritures. Je me suis cité moi-même parce que ces gens-là, quand ils sont combattus par des chrétiens qui n'ont pas suivi ce conseil du Seigneur, répondent que la principale raison de leurs adversaires c'est attachement à leurs propres vices et éloignement pour les préceptes évangéliques. Sans parler des riches qui, trop faibles pour aller jusqu'au renoncement, font pourtant de leurs biens un pieux usage, je dirai que les cupides et les avares eux-mêmes qui usent mal de leurs richesses, qui attachent un coeur de boue à un terrestre trésor et que l'Eglise doit porter avec elle jusqu'à la fin comme les filets enferment les mauvais poissons jusqu'à ce qu'ils soient tirés sur le rivage 2 , sont plus supportables que ces chrétiens étranges qui, en semant de pareilles doctrines, veulent paraître grands pour avoir vendu leurs richesses on quelque petit patrimoine, suivant le précepte du Seigneur, et qui s'efforcent, par leur doctrine perverse, de porter le trouble et la ruine dans son héritage qui s'étend jusqu'aux extrémités de la terre.