1.
Je ne sais si c'est une réalité ou un pur effet de votre doux langage; l'impression a été soudaine, et je n'ai pas assez examiné jusqu'à quel point je devais me fier à vos paroles. Vous demandez ce que ceci veut dire. Que croyez-vous ? Vous avez été près de me persuader, non pas que je fusse heureux, ce qui n'appartient qu'au sage, mais que je fusse comme heureux, de la même manière que nous nous disons hommes, quoique nous le soyons peu en comparaison de l'homme même que Platon avait rêvé; ou de même que nous appelons certaines choses rondes ou carrées quoiqu'elles ne le soient pas avec cette rigoureuse exactitude, appréciable seulement par un petit nombre d'esprits. J'ai lu votre lettre à la lampe après avoir déjà soupé: j'étais près de me coucher, mais non pas de m'endormir. Et longtemps après m'être mis au lit, je pensais, et je m'entretenais avec moi-même, Augustin avec Augustin : Suis-je heureux, me disais-je, comme il plait à Nébride de me l'écrire? Non sans doute, car lui-même n'oserait pas nier combien je suis encore éloigné de la sagesse: Peut-être la vie heureuse est-elle aussi le partage de ceux qui sont peu avancés ? C'est difficile à croire, car n'avoir pas la sagesse n'est-ce pas une grande misère, et y a-t-il une autre misère ici-bas? D'où lui est donc venue cette idée ? A-t-il osé me croire sage après avoir lu mes petits livres ? Le plaisir d'une lecture ne l'aurait pas rendu aussi téméraire, et je sais é trop la prudence accoutumée d'un homme de . te poids- Voici donc pourquoi; c'est qu'il m'a écrit ce qu'il a cru le plus doux . il a trouvé de la douceur dans mes livres et me l'a dit avec satisfaction et n'a pas pris garde a ce qu'il confiait à la joie de sa plume. Que serait-ce s'il avait lu les Soliloques ? il eût été enivré, et cependant il n'aurait trouvé rien de plus à me dire que quand il m'a appelé heureux. Il m'a donné tout d'abord le nom le plus élevé et ne s'est rien réservé pour me témoigner un plus grand contentement : voyez ce que fait la joie !