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De la doctrine chrétienne
CHAPITRE VII. TRAITS D'ÉLOQUENCE TIRÉS DE L'ECRITURE.
11. Quelle clarté saisissante, et en même temps quelle sagesse dans ces paroles de l'Apôtre! « Nous nous glorifions dans nos tribulations, sachant que la tribulation produit la patience, la patience l'épreuve, et l'épreuve l'espérance. Or, cette espérance ne nous trompe point, parce que l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs parle Saint-Esprit qui nous a été donné 1. » Quel savant assez ignorant, pour ainsi m'exprimer, oserait prétendre que l'Apôtre s'est attaché à suivre les règles de l'art? Ne serait-il pas la risée de tous les chrétiens, éclairés ou non ? et cependant il y a là une figure que les Grecs appellent climax et nous gradation, pour ne pas dire échelle, figure dans laquelle les expressions ou les pensées s'enchaînent les unes aux autres, comme ci-dessus, où la patience est liée à la tribulation, l'épreuve à la patience, et l'espérance à l'épreuve. Il y a même dans ce passage un autre genre de beauté. A la suite de ces phrases coupées et détachées, appelées par les grecs cvla, et commata , qui se prononcent séparément, vient ce qu'on appelle une période, dont les membres s'énoncent d'une manière suspensive, jusqu'à la fin du dernier. La première de ces phrases détachées qui précédent la période, est celle-ci : « La tribulation produit la patience » ; la seconde : « la patience l'épreuve » ; et la troisième : « et l'épreuve l'espérance. » Vient ensuite la période qui renferme aussi trois membres, dont le premier est : « Or, l'espérance ne nous trompe point » ; le second : « parce que l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs » ; le troisième : « par l'Esprit-Saint qui nous a été donné », Ces observations font partie de l'enseignement méthodique de l'art. Si donc nous disons que l'Apôtre n'a pas cherché à en observer les règles, nous sommes loin de soutenir qu'en lui l'éloquence n'ait pas accompagné la sagesse.
12. Dans sa seconde épître aux Corinthiens, il reprend quelques faux Apôtres d'entre les Juifs qui parlaient mal de lui. Contraint de faire son propre éloge, il se l'impute comme une folié ; mais quelle sagesse et quelle éloquence dans ses paroles ! L'éloquence toutefois ne fait qu'accompagner la sagesse qui le dirige; la sagesse marche la première, sans repousser l'éloquence qui la suit. « Je vous le dis encore une fois : que personne me prenne pour un insensé, ou du moins, supportez ma folie, et permettez-moi de me glorifier aussi un peu. Croyez, si vous voulez, que ce je dis, je ne le dis pas selon Dieu, mais que je fais paraître de l'imprudence dans ce que je prends pour un sujet de me glorifier. Puisque plusieurs se glorifient selon la chair, je puis bien aussi me glorifier comme eux. Car, étant sages comme vous êtes, vous souffrez sans peine les imprudents. Vous souffrez même qu'on vous asservisse, qu'on vous dévore, qu'on prenne votre bien, qu'on vous traite avec hauteur, qu'on vous frappe au visage. C'est à ma confusion que je le dis; car je reconnais que nous avons été faibles en ce point. Mais pour ce qui est des autres avantages qu'ils osent s'attribuer eux-mêmes, je veux bien faire une imprudence, en me rendant en cela aussi hardi qu'eux . Sont-ils Hébreux ? Je le suis aussi. Sont- ils Israélites ? Je le suis aussi. Sont-ils de la race d'Abraham ? J'en suis aussi. Sont-ils ministres de Jésus-Christ? Quand je devrais passer pour imprudent, j'ose dire que je le suis encore plus qu'eux. J'ai plus souffert de travaux, plus reçu de coups, plus enduré de prisons; je me suis souvent vu tout près de la mort. J'ai reçu des, Juifs, en cinq fois différentes, quarante coups moins un. J'ai été battu de verges par trois fois; une fois j'ai été lapidé ; j'ai fait naufrage trois fois ; j'ai passé un jour et une nuit au fond de la mer; j'ai été souvent dans les voyages, dans les périls sur les fleuves, dans les périls de la part des voleurs, dans les périls de la part de ceux de ma nation, dans les périls de la part des païens, dans les périls au milieu des villes, dans les périls au milieu des déserts, dans les périls sur la mer, dans les périls entre les faux frères. J'ai souffert toutes sortes de ta figues et de travaux, les veilles fréquentes, la faim, la soif, les jeûnes réitérés, le froid et la nudité. Outre les maux extérieurs, le soin que j'ai des Églises attire sûr moi une foule d'affaires qui m'assiègent tous les jours. Qui est faible, sans que je m'affaiblisse avec lui? Qui est scandalisé, sans que je brûle ? S'il faut se glorifier de quelque chose, je me glorifierai de mes peines et de mes souffrances 2. » La moindre attention découvre dans ces paroles un trésor de sagesse, et la nature la plus endormie y sent coule un torrent d'éloquence.
13. Un critique judicieux reconnaîtra que ces phrases coupées, ces membres et ces périodes, dont je parlais plus haut, disposés avec une admirable variété, ont imprimé à ce discours ce cachet particulier, cette forme d'animation et de vie qui charme et entraîne les plus ignorants. Au début de notre citation, c'est une suite de périodes. La première est très courte, car elle n'a que deux membres : toute période ne peut en avoir moins, mais elle peut en renfermer davantage. Voici donc cette première : « Je vous le dis encore une fois: que personne ne me prenne pour un insensé ». Vient la seconde de trois membres ou du moins, supportez ma folie, et permettez-moi de me glorifier aussi un peu ». La troisième en renfermé quatre: « A l'égard. de ce que je vous dis, je ne parle pas selon le Seigneur, mais je fais paraître de l'imprudence, dans ce que je prends pour un sujet de me glorifier. » La quatrième n'en a que deux: « Puisque plusieurs se glorifient selon la chair, je puis bien me glorifier comme eux. » La cinquième de même Car étant sages comme vous l'êtes, vous souffrez sans peine les imprudents. » « La sixième encore deux : Vous souffrez même qu'on vous asservisse. » Suivent trois phrases détachées : « Qu'on vous dévore, qu'on prenne votre bien, qu'on vous traite avec hauteur. » Puis trois autres membres : Qu'on vous frappe au visage; c'est à ma confusion que je le dis, car je reconnais que nous avons été faibles en ce point. » Ensuite une période de trois membres: « Mais pour ce qui est des autres avantages qu'ils osent s'attribuer eux-mêmes, je veux bien faire une imprudence, en me rendant en cela aussi hardi qu'eux. » Ici se succèdent trois interrogations avec autant de réponses, toutes en phrases coupées: « Sont-ils Hébreux ? Je le suis aussi. Sont-ils Israëlites?
« Je le suis aussi. Sont-ils de la race d'Abraham ? Je le suis aussi. » Aune quatrième et semblable interrogation, la réponse se fait, non par une phrase détachée, mais par un membre : « Sont-ils ministres de Jésus-Christ ? Quand je devrais passer pour imprudent à le dire, je le suis encore plus qu'eux ». Après, sans plus d'interrogation, se déroulent quatre phrases coupées : « J'ai plus souffert de travaux, plus enduré de prisons, plus reçu de coups, j'ai été plus sou vent exposé a la mort. » Ici vient s'interposer une courte période, dont les membres se distinguent par une prononciation suspensive, et dont le premier est : « Cinq différentes fois de la part des Juifs, » auquel se rattache le second : « j'ai reçu trente-neuf coups de fouet. » Ensuite reparaissent des phrases détachées, au nombre de trois : « J'ai été battu de verges par trois fois, j'ai été lapidé une fois, trois fois j'ai fait naufrage ». Puis un membre seul : « j'ai passé un jour et une nuit au fond de la mer ». Après se déroulent avec grâce quatorze phrases courtes et concises : « J'ai été souvent dans les voyages, dans les périls sur les fleuves, dans les périls de la part des voleurs, dans les périls de la part de ceux de ma nation, dans les périls de la part des païens, dans les périls au milieu des villes, dans les périls au milieu des déserts, dans les périls sur la mer, dans les périls entre les faux frères ; j'ai souffert toutes sortes de travaux et de fatigues, les veilles fréquentes, la faim et la soif, les jeûnes réitérés, le froid et la nudité. » Ensuite une période de trois membres : « Outre ces maux extérieurs, une foule d'affaires m'assiègent tous les jours, le soin que j'ai de toutes les Eglises. » A cette période rattachent par interrogation : « Qui est faible sans que je m'affaiblisse ? Qui est scandalisé sans que je brûle ? » Enfin ce passage magnifique, qui permet à peine de respirer, se termine par une période à deux membres : « S'il faut se glorifier de quelque chose, je me glorifierai de mes peines et de mes souffrances. » Quelle beauté, quel charrue inexprimable deus l'art avec lequel l'auteur a su, après ce grand mouvement d'éloquence, amener cette simple narration, comme pour se reposer et reposer avec lui l'auditeur ! « Dieu, qui est le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ béni dans tous les siècles, sait que je ne mens point 3. » Il raconte ensuite brièvement les périls qu'il a courus, et la manière dont il y a échappé.
14. Il serait trop long d'analyser ainsi le reste de ce discours, et de montrer les beautés de même genre renfermées partout ailleurs dans nos livres saints. Que serait-ce si j'avais, voulu faire ressortir, rien que dans repassage emprunté à Saint Paul, l'emploi de ces figures de langage qu'enseigne la rhétorique ? N'en aurais-je pas trop dit pour les hommes sages, et pas encore assez pour ceux qui étudient les règles de l'art? Dans les écoles, on donne une haute importance à tous ces préceptes; on les achète à grand prix, et on les vend avec ostentation. Je crains même que les détails dans lesquels je suis entré, ne se ressentent de cette vanité que je condamne. Mais je devais répondre à ces faux savants qui regardent nos écrivains sacrés- comme méprisables, sinon pour ne pas faire preuve, du moins pour rie pas faire parade de cette éloquence pour la quelle ils sont passionnés.
15. On croira peut-être que j'ai choisi l'Apôtre saint Paul, comme le seul modèle d'éloquence que nous ayons. S'il a dit quelque part : « Fussé-je inhabile pour la parole, je ne le suis pas pour la science 4, » c'est plutôt une concession qu'il a faite à ses détracteurs, que l'aveu d'un défaut qu'il aurait reconnu en lui. Cette interprétation serait la seule admissible, s'il eût dit : « Je « suis inhabile pour la parole, mais non pour la science. » Il n'hésite pas d'avouer qu'il possède la science, sans laquelle il ne pouvait être le docteur des nations; et si nous citons quelques passages, de lui comme modèles d'éloquence, nous les tirons de ces épîtres que ses détracteurs mêmes, qui méprisaient sa parole quand il était présent, ont reconnues pour être pleines de force est de gravité 5.
Je vais donc parler aussi de l'éloquence des Prophètes, qui ont fait un si fréquent usage des figures. Mais plus la vérité y est enveloppée d'expressions métaphoniques, plus on la goûte avec délices quand elle. est dévoilée. Je dois m'arrêter ici à des citations où je ne sois pas obligé d'interpréter le sens, mais où je puisse me borner à faire ressortir le mérite du style. Je les emprunterai de préférence, au livre de ce prophète qui nous apprend que son emploi était de garder les troupeaux, et que Dieu le tira de là pour l'envoyer prophétiser à son peuple 6. Je ne suivrai point la version des Septante. Cette version, faite sous une inspiration particulière de l'Esprit-Saint, semble, en certains endroits, avoir apporté les choses autrement que l'original, pour avertir le lecteur d'y chercher un sens spirituel; c'est ce qui fait que parfois elle est plus obscure, parce que le style en est plus figuré. Je prendrai la version latine faite sur l'hébreu par le prêtre Jérôme, versé dans l'une et l'autre langue.
16. Voici donc comment s'élève Amos, d'humble habitant des champs devenu prophète, quand il attaque les hommes impies, superbes, dissolus, et foulant aux pieds la charité fraternelle: « Malheur à vous qui vivez en Sion dans l'abondance de toutes choses, et qui mettez votre confiance en la montagne de Samarie, grands qui êtes les chefs du peuple, qui entrez avec une pompe fastueuse dans les assemblées d'Iraël! Passez à Chalané et voyez. Allez de là dans Emath la grande, et descendez à Geth, au pays des Philistins, et dans les royaumes qui dépendent de ces villes. Examinez si les terres qu'ils possèdent sont plus étendues que les vôtres, vous que Dieu réserve pour le jour de l'affliction, et qui êtes prêts d'être asservis à un roi barbare; qui dormez sur des lits d'ivoire, et vous étendez mollement sur votre couche ; qui mangez les agneaux gras, et les génisses choisies de tout le troupeau.; qui chantez aux accords de la harpe. Ces hommes ont cru qu'ils étaient pour l'harmonie les rivaux de David ; et ils boivent le vin dans de larges coupes, et ils répandent sur eux les parfums les plus exquis, insensibles à la ruine de Joseph 7. » Si ces docteurs infatués de l'éloquence, qui méprisent nos prophètes comme des ignorants, étrangers aux délicatesses du langage, eussent eu à traiter le même sujet en présence des mêmes auditeurs, et s'ils eussent voulu le traiter convenablement, je le demande, auraient-ils désiré s'exprimer autrement.
17. Et-il rien de plus parfait à désirer pour les oreilles les plus délicates ? Avec quel éclat, dès le début, l'invective vient frapper les coeurs endormis, pour les réveiller ! « Malheur à vous qui vivez en Sion dans l'abondance de toutes choses, et qui mettez votre confiance en la montagne de Samarie, grands qui êtes les chefs des peuples, qui entrez avec une pompe fastueuse dans les assemblées d'Israël! » Ensuite, pour montrer l'ingratitude qu'ils professent à l'égard du Dieu qui leur avait donné un si vaste royaume, en mettant leur confiance dans la montagne de Samarie, où se pratiquait le culte des idoles : « Passez, dit-il, à Chalané et voyez. Allez de là dans Emath la grande, descendez à Geth au pays des Philistins, et dans les royaumes qui dépendent de ces villes; examinez « si les terres qu'ils possèdent sont plus étendues « que les vôtres. » Tous ces noms qui spécifient les lieux, Sion, Samarie, Chalané, Emath la grande, Geth des Philistins, ne sont-ils pas autant d'éclats de lumière qui ornent le récit? Quelle charmante variété encore dans tous ces mots : « Vous qui êtes dans l'abondance, qui mettez votre confiance, passez, allez, descendez ! »
18. Il annonce ensuite et comme conséquence, la captivité qui est sur le point d'arriver sous le règne d'un roi impie: « Vous qui êtes réservés pour le jour de l'affliction, et prêts d'être as« servis à un roi barbare. » Il décrit alors leurs oeuvres de mollesse et de prodigalité en ces termes: « Vous qui dormez sur des lits d'ivoire, et vous étendez mollement sur votre couche, qui mangez les agneaux les plus gras et les génisses choisies de tout le troupeau. » Ces six membres forment trois périodes dont chacune en renferme deux. Il ne dit pas : « Qui êtes réservés pour le jour de l'affliction, qui êtes prêts d'être asservis à un roi barbare, qui dormez sur des lits d'ivoire, qui vous étendez mollement sur votre couche, qui mangez les agneaux les plus gras et les génisses choisies de tout le troupeau. » Sans doute il y aurait eu une véritable beauté à voir ces six membres se dérouler sous le même pronom autant de fois répété, et d'entendre la voix de l'orateur les distinguer chacun séparément ; mais la forme la plus parfaite était de les réunir deux à deux sous le même pronom, exprimant aussi trois pensées, dont la première regarde l'annonce de la captivité : « Vous qui êtes réservés pour le jour de l'affliction, et prêts d'être asservis à un roi barbare; » la seconde, la mollesse de ce peuple : « Qui dormez sur des lits d'ivoire, et vous étendez mollement sur votre couche; » la troisième, leur intempérance brutale : « Qui mangez les agneaux les plus gras, et les génisses choisies de tout le troupeau. » Le lecteur est libre de prononcer séparément chacun des membres et d'en faire six, ou de prononcer le premier, le troisième et le cinquième, d'une manière suspensive, de façon à lier le second membre au premier, le quatrième au troisième et le sixième au cinquième, et à former trois belles périodes, chacune de deux membres, dont la première montre 1e malheur qui menace ces hommes ; la seconde, leur volupté et leur mollesse; la troisième, leur intempérance et leurs prodigalités.
19. Il attaque ensuite leur passion désordonnée pour les plaisirs de l'oreille. Mais après avoir dit « Vous qui chantez aux accords de la harpe; n sachant que l'exercice modéré de la musique n'est pas incompatible avec la sagesse, tout à coup par un tour admirable d'éloquence, il suspend l'invective, cesse de s'adresser à ces hommes, quoiqu'il parle toujours d'eux, pour nous apprendre à distinguer la musique inspirée par la sagesse de celle que produit la passion. Ainsi il ne dit pas : Vous qui chantez aux accords de la harpe, et qui vous croyez en musique les rivaux de David. Mais après ces paroles que des hommes dissolus méritaient d'entendre : « Qui chantez aux accords de la harpe » , le prophète étale en quelque sorte aux yeux des autres leur ignorance, en ajoutant : « ils se sont crus en musique les rivaux de David et ils boivent le vin dans de larges coupes, ils répandent sur eux les parfums les plus exquis. » La meilleure manière de prononcer cette période, est de faire une suspension aux deux premiers membres, pour terminer au troisième.
20. Quant à ces paroles qui terminent: « Et ils sont insensibles à la ruine de Joseph, » on peut les prononcer comme un seul membre de phrase, ou y faire une suspension, de sorte qu'il y ait une période de deux membres, le premier : « Et ils sont insensibles, » le second : « à la ruine de Joseph.. » Avec quelle admirable délicatesse l'auteur, au lieu de dire : Ils sont insensibles à l'affliction de leur frère, a mis pour le mot frère, celui de Joseph, désignant ainsi tous les frères sous le nom propre de celui qui dut aux siens la réputation la plus éclatante, par les maux qu'il en reçut et par les bienfaits dont il. les combla. J'ignore assurément si la rhétorique que j'ai apprise et enseignée, pourrait revendiquer une semblable figure. Mais tout ce qu'elle renferme de beauté, la douce impression qu'elle fait sur ceux qui la lisent et la comprennent, il est inutile de l'expliquer à quiconque ne la sent pas.
21. Il y a d'ailleurs dans ce passage que nous venons de citer comme exemple, bien d'autres traits d'une véritable éloquence. Mais on en apprend moins encore, à un auditeur sensible, par l'analyse la plus exacte, qu'on ne le ravit en le lui récitant avec âme. De telles paroles ne sont pas le fruit d'un art purement humain; c'est l'Esprit divin qui les a inspirées, en y mêlant l'éloquence avec la sagesse. Si, comme l'ont remarqué et avoué des orateurs très distingués, on n'a. pu découvrir et formuler méthodiquement tout ce qu'enseigne l'art oratoire, qu'en en voyant l'application dans les oeuvres du génie, qu'y a-t-il d'étonnant qu'on le retrouve dans les écrits des hommes envoyés par Celui-là même qui est la source auteur de tout génie? Reconnaissons donc que nos auteurs et nos docteurs sacrés ont su à la sagesse joindre l'éloquence, et cette éloquence seule convenait à leur caractère.
Edition
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De doctrina Christiana
CAPUT VII.-- Pulchre docet, adductis exemplis, in sacris Litteris inesse germanam eloquentiam, quae sapientiae adhaeret velut inseparabilis comes. Exempla ponuntur ex Epistolis Pauli, et ex Amos propheta. Exemplum aliud sanae eloquentiae ex Amos 6, 1.
11. Quis enim non videat quid voluerit dicere, et quam sapienter dixerit Apostolus: Gloriamur in tribulationibus, scientes quia tribulatio patientiam operatur, patientia autem probationem, probatio vero spem, spes autem non confundit: quia charitas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum sanctum, qui datus est nobis 1? Hic si quis, ut ita dixerim, imperite peritus, artis eloquentiae praecepta Apostolum secutum fuisse contendat, nonne a Christianis doctis indoctisque ridebitur? Et tamen agnoscitur hic figura, quae κλίμαξ graece, latine vero a quibusdam est appellata gradatio, quoniam scalam dicere noluerunt, cum verba vel sensa connectuntur alterum ex altero; sicut hic, ex tribulatione patientiam, ex patientia probationem, [P. 0094] ex probatione spem connexam videmus. Agnoscitur et aliud decus, quoniam post aliqua pronuntiationis voce singula finita, quae nostri membra et caesa, Graeci autem κῶλα et κόμματα vocant, sequitur ambitus sive circuitus, quem περίοδον illi appellant, cujus membra suspenduntur voce dicentis, donec ultimo finiatur. Nam eorum quae praecedunt circuitum, membrum illud est primum, quoniam tribulatio patientiam operatur; secundum, patientia autem probationem; tertium, probatio vero spem. Deinde subjungitur ipse circuitus, qui tribus peragitur membris, quorum primum est, spes autem non confundit; secundum, quia charitas Dei diffusa est in cordibus nostris; tertium, per Spiritum sanctum qui datus est nobis. At haec atque hujuscemodi in elocutionis arte traduntur. Sicut ergo Apostolum praecepta eloquentiae secutum fuisse non dicimus, ita quod ejus sapientiam secuta sit eloquentia, non negamus.
12. Scribens ad Corinthios, in secunda Epistola redarguit quosdam, qui erant ex Judaeis pseudoapostoli, eique detrahebant: et quoniam seipsum praedicare compellitur, hanc sibi velut insipientiam tribuens, quam sapienter dicit, quamque eloquenter? sed comes sapientiae, dux eloquentiae; illam sequens, istam praecedens et sequentem non respuens. Iterum dico, inquit, ne quis me existimet insipientem esse; alioquin velut insipientem suscipite me, ut et ego modicum quid glorier. Quod loquor, non loquor secundum Deum, sed quasi in stultitia, in hac substantia gloriae. Quoniam quidem multi gloriantur secundum carnem, et ego gloriabor. Libenter enim sustinetis insipientes, cum sitis ipsi sapientes. Toleratis enim si quis vos in servitutem redigit, si quis devorat, si quis accipit, si quis extollitur, si quis in faciem vos caedit. Secundum ignobilitatem dico, quasi nos infirmati simus. In quo autem quis audet (in insipientia dico), audeo et ego. Hebraei sunt? et ego. Israelitae sunt? et ego. Semen Abrahae sunt? et ego. Ministri Christi sunt? (insipiens dico) super ego. In laboribus plurimum, in carceribus abundantius, in plagis supra modum, in mortibus saepius. A Judaeis quinquies, quadraginta una minus accepi. Ter virgis caesus sum, semel lapidatus sum, ter naufragium feci: nocte et die in profundo maris fui; in itineribus saepe, periculis fluminum, periculis latronum, periculis ex genere, periculis ex gentibus, periculis in civitate, periculis in deserto, periculis in mari, periculis in falsis fratribus: in labore et aerumna, in vigiliis saepius, in fame et siti, in jejuniis saepius, in frigore et nuditate: praeter illa quae extrinsecus sunt, incursus in me quotidianus, sollicitudo omnium Ecclesiarum. Quis infirmatur, et ego non infirmor? quis scandalizatur, et ego non uror? Si gloriari oportet, in iis quae infirmitatis meae sunt, gloriabor 2. Quanta sapientia ista sint dicta vigilantes vident. Quanto vero etiam eloquentiae concurrerint flumine, et qui stertit advertit.
13. Porro autem qui novit, agnoscit quod ea caesa [P. 0095] quae κόμματα Graeci vocant, et membra, et circuitus, de quibus paulo ante disserui, cum decentissima varietate interponerentur, totam istam speciem dictionis, et quasi ejus vultum, quo etiam indocti delectantur moventurque, fecerunt. Nam unde coepimus hunc locum inserere, circuitus sunt: primus minimus, hoc est bimembris; minus enim quam duo membra circuitus habere non possunt, plura vero possunt: ergo ille primus est, Iterum dico, ne quis me existimet insipientem esse. Sequitur alius trimembris, Alioquin velut insipientem suscipite me, ut et ego modicum quid glorier. Tertius qui sequitur membra habet quatuor, Quod loquor, non loquor secundum Deum, sed quasi in stultitia, in hac substantia gloriae. Quartus duo habet, Quandoquidem multi gloriantur secundum carnem, et ego gloriabor. Et quintus habet duo, Libenter enim sustinetis insipientes, cum sitis ipsi sapientes. Etiam sextus bimembris est, Toleratis enim, si quis vos in servitutem redigit. Sequuntur tria caesa, Si quis devorat, si quis accipit, si quis extollitur. Deinde tria membra, Si quis in faciem vos caedit, secundum ignobilitatem dico, quasi nos infirmati simus. Additur trimembris circuitus, In quo autem quis audet (in insipientia dico), audeo et ego. Hinc jam singulis quibusque caesis interrogando positis, singula itidem caesa responsione redduntur, tria tribus, Hebraei sunt? et ego. Israelitae sunt? et ego. Semen Abrahae sunt? et ego. Quarto autem caeso simili interrogatione posito, non alterius caesi, sed membri oppositione respondet, Ministri Christi sunt? (insipiens dico) super ego. Jam caesa quatuor sequentia, remota decentissime interrogatione funduntur, In laboribus plurimum, in carceribus abundantius, in plagis supra modum, in mortibus saepius. Deinde interponitur brevis circuitus, quoniam suspensa pronuntiatione distinguendum est, A Judaeis quinquies, ut hoc sit unum membrum, cui connectitur alterum, quadraginta una minus accepi. Inde redditur ad caesa, et ponuntur tria, Ter virgis caesus sum, semel lapidatus sum, ter naufragium feci. Sequitur membrum: Nocte ac die in profundo maris fui. Deinde quatuordecim caesa decentissimo impetu profluunt, In itineribus saepe, periculis fluminum, periculis latronum, periculis ex genere, periculis ex gentibus, periculis in civitate, periculis in deserto, periculis in mari, periculis in falsis fratribus: in labore et aerumna, in vigiliis saepius, in fame et siti, in jejuniis saepius, in frigore et nuditate. Post haec interponit trimembrem circuitum, Praeter illa quae extrinsecus sunt, incursus in me quotidianus, sollicitudo omnium Ecclesiarum. Et huic duo membra percontatione subjungit, Quis infirmatur, et ego non infirmor? quis scandalizatur, et ego non uror? Postremo totus iste quasi anhelans locus, bimembri circuitu terminatur, Si gloriari oportet, in iis quae infirmitatis meae sunt gloriabor. Quod vero post hunc impetum interposita narratiuncula quodammodo requiescit, et requiescere facit auditorem, quid decoris, quid delectationis habeat, satis dici non potest. Sequitur enim dicens: Deus et Pater Domini [P. 0096] nostri Jesu Christi scit, qui est benedictus in saecula, quod non mentior 3. Ac deinde quomodo periclitatus fuerit, et quomodo evaserit, brevissime narrat.
14. Longum est caetera persequi, vel in aliis sanctarum Scripturarum locis ista monstrare. Quid, si etiam figuras locutionis quae illa arte traduntur, in iis saltem quae de Apostoli eloquio commemoravi, ostendere voluissem? nonne facilius graves homines me nimium, quam quisquam studiosorum sibi sufficientem putarent? Haec omnia quando a magistris docentur, pro magno habentur, magno emuntur pretio, magna jactatione venduntur. Quam jactationem etiam ego redolere vereor, dum ista sic dissero. Sed male doctis hominibus respondendum fuit, qui nostros auctores contemnendos putant, non quia non habent, sed quia non ostentant, quam nimis isti diligunt, eloquentiam.
15. Sed forte quis putat, tanquam eloquentem nostrum elegisse me apostolum Paulum. Videtur enim ubi ait, Etsi imperitus sermone, sed non scientia 4, quasi concedendo obtrectatoribus sic locutus, non tanquam id verum agnosceret, confitendo. Si autem dixisset, Imperitus quidem sermone, sed non scientia, nullo modo aliud posset intelligi. Scientiam plane non cunctatus est profiteri, sine qua esse doctor Gentium non valeret. Certe si quid ejus proferimus ad exemplum eloquentiae, ex illis Epistolis utique proferimus, quas etiam ipsi obtrectatores ejus, qui sermonem praesentis contemptibilem putari volebant, graves et fortes esse confessi sunt 5. Dicendum ergo mihi aliquid esse video et de eloquentia Prophetarum, ubi per tropologiam multa obteguntur. Quae quanto magis translatis verbis videntur operiri, tanto magis cum fuerint aperta dulcescunt. Sed hoc loco tale aliquid commemorare debeo, ubi quae dicta sunt non cogar exponere, sed commendem tantum quomodo dicta sint. Et ex illius prophetae libro potissimum hoc faciam, qui se pastorem vel armentarium fuisse dicit, atque inde divinitus ablatum atque missum, ut Dei populo prophetaret 6. Non autem secundum Septuaginta interpretes, qui etiam ipsi divino Spiritu interpretati, ob hoc aliter videntur nonnulla dixisse, ut ad spiritualem sensum scrutandum magis admoneretur lectoris intentio; unde etiam obscuriora nonnulla, quia magis tropica, sunt eorum: sed sicut ex hebraeo in latinum eloquium, presbytero Hieronymo utriusque linguae perito interpretante, translata sunt.
16. Cum igitur argueret impios, superbos, luxuriosos, et fraternae ideo negligentissimos charitatis, rusticus vel ex rustico iste propheta exclamavit, dicens: Vae qui opulenti estis in Sion, et confiditis in monte Samariae, optimates capita populorum, ingredientes pompatice domum Israel! Transite in Chalanne, et videte, et ite inde in Emath magnam, et descendite in Geth Palaestinorum, et ad optima quaeque regna horum, si latior terminus eorum termino vestro est. Qui separati [P. 0097] estis in diem malum, et appropinquatis solio iniquitatis. Qui dormitis in lectis eburneis, et lascivitis in stratis vestris: qui comeditis agnum de grege, et vitulos de medio armenti: qui canitis ad vocem Psalterii. Sicut David putaverunt se habere vasa cantici, bibentes in phialis vinum, et optimo unguento delibuti: et nihil patiebantur super contritione Joseph (Amos, VI, 1-6). Numquidnam isti, qui Prophetas nostros tanquam ineruditos et elocutionis ignaros veluti docti disertique contemnunt, si aliquid eis tale vel in tales dicendum fuisset, aliter se voluissent dicere, qui tamen eorum insanire noluissent?
17. Quid enim est quod isto eloquio aures sobriae plus desiderent? Primo ipsa invectio, quasi sopitis sensibus ut evigilarent, quo fremitu illisa est? Vae qui opulenti estis in Sion, et confiditis in monte Samariae, optimates capita populorum, ingredientes pompatice domum Israel! Dein, de ut beneficiis Dei, qui eis ampla spatia regni dedit, ostendat ingratos, quoniam confidebant in monte Samariae, ubi utique idola colebantur, Transite, inquit, in Chalanne, et videte, et ite inde in Emath magnam, et descendite in Geth Palaestinorum, et ad optima quaeque regna horum, si latior terminus eorum termino vestro est. Simul etiam cum ista dicuntur, locorum nominibus tanquam luminibus ornatur eloquium, quae sunt Sion, Samaria, Chalanne, Emath magna, et Geth Palaestinorum. Deinde verba quae his adjunguntur locis, decentissime variantur: Opulenti estis, confiditis, transite, ite, descendite.
18. Consequenter denuntiatur futura sub iniquo rege appropinquare captivitas, cum adjungitur, Qui separati estis in diem malum, et appropinquatis solio iniquitatis. Tunc subjiciuntur merita luxuriae, Qui dormitis in lectis eburneis, et lascivitis in stratis vestris: qui comeditis agnum da grege, et vitulos de medio armenti. Ista sex membra tres bimembres circuitus ediderunt. Non enim ait, Qui separati estis in diem malum, qui appropinquatis solio iniquitatis, qui dormitis in lectis eburneis, qui lascivitis in stratis vestris, qui comeditis agnum de grege, et vitulos de medio armenti; si ita diceretur, esset quidem et hoc pulchrum, ut ab uno pronomine repetito singula sex membra decurrerent, et pronuntiantis voce singula finirentur: sed pulchrius factum est, ut eidem pronomini essent bina subnexa, quae tres sententias explicarent; unam ad captivitatis praenuntiationem, Qui separati estis in diem malum, et appropinquatis solio iniquitatis; alteram ad libidinem, Qui dormitis in lectis eburneis, et lascivitis in stratis vestris; ad voracitatem vero tertiam pertinentem, Qui comeditis agnum de grege, et vitulos de medio armenti: ut in potestate sit pronuntiantis, utrum singula finiat, et membra sint sex, an primum et tertium et quintum voce suspendat, et secundum primo, quartum tertio, sextum quinto connectendo, tres bimembres circuitus decentissime faciat; unum quo calamitas imminens, alterum quo lectus impurus, tertium quo prodiga mensa monstretur.
19. Deinde luxuriosam remordet aurium voluptatem. Ubi cum dixisset, Qui canitis ad vocem psalterii, [P. 0098] quoniam potest exerceri sapienter a sapientibus musica, mirabili decore dicendi, invectionis impetu relaxato, et non ad illos, sed de illis jam loquens, ut nos musicam sapientis a musica luxuriantis distinguere commoneret, non ait, Qui canitis ad vocem psalterii, et sicut David putatis vos habere vasa cantici: sed cum illud ad illos dixisset, quod luxuriosi audire deberent, Qui canitis ad vocem psalterii, imperitiam quoque eorum aliis quodammodo indicavit, adjungens, Sicut David putaverunt se habere vasa cantici, bibentes in phialis vinum, et optimo unguento delibuti. Tria haec melius pronuntiantur, si suspensis duobus prioribus membris circuitus, tertio finiantur.
20. Jam vero quod his omnibus adjicitur, Et nihil patiebantur super contritione Joseph, sive continuatim dicatur ut unum sit membrum, sive decentius suspendatur, et nihil patiebantur, et post hanc distinctionem inferatur, super contritione Joseph, atque sit bimembris circuitus; miro decore non dictum est, Nihil patiebantur super contritione fratris, sed positus est pro fratre, Joseph, ut quicumque frater proprio significaretur ejus nomine, cujus ex fratribus fama praeclara est, vel in malis quae pendit, vel in bonis quae rependit. Iste certe tropus ubi Joseph quemcumque fratrem facit intelligi, nescio utrum illa quam didicimus et docuimus, arte tradatur. Quam sit tamen pulcher, et quemadmodum afficiat legentes atque intelligentes, non opus est cuiquam dici, si ipse non sentit.
21. Et plura quidem, quae pertinent ad praecepta eloquentiae, in hoc ipso loco, quem pro exemplo posuimus, possunt reperiri. Sed bonum auditorem, non tam si diligenter discutiatur, instruit, quam si ardenter pronuntietur, accendit. Neque enim haec humana industria composita, sed divina mente sunt fusa et sapienter et eloquenter; non intenta in eloquentiam sapientia, sed a sapientia non recedente eloquentia. Si enim, sicut quidam disertissimi atque acutissimi viri videre ac dicere potuerunt, ea quae velut oratoria arte discuntur, non observarentur et notarentur, et in hanc doctrinam non redigerentur, nisi prius in oratorum invenirentur ingeniis; quid mirum si et in istis inveniuntur, quos ille misit qui facit ingenia? Quapropter et eloquentes quidem, non solum sapientes, canonicos nostros auctores doctoresque fateamur, tali eloquentia, qualis personis ejusmodi congruebat.