CHAPITRE XXVII et XXVIII. ORDRE DANS LEQUEL ON DOIT AIMER. QUI DOIT-ON SECOURIR DE PRÉFÉRENCE
28. L'homme qui vit selon les lois de la justice et cite la sainteté, est celui qui sait estimer les choses à leur véritable valeur ; en lui l'amour est parfaitement ordonné. Il n'aime pas ce qu'il ne faut pas aimer, et il aime ce qu'il doit aimer; moins une chose est aimable, moins il l'aime ; la mesure de son amour s'étend ou se rétrécit selon que l'objet est plus ou moins aimable, et elle reste égale pour ce qui est également digne d'amour. Tout pécheur considéré comme pécheur ne peut être aimé ; et tout homme en tant qu'homme doit être aimé par rapport à Dieu, et Dieu pour lui-même. Si donc Dieu doit être aimé plus que tout homme, chacun doit aimer plus que soi-même. Nous devons aussi aimer le prochain plus que notre corps; parce que nous devons tout aimer relativement à Dieu et que le prochain est appelé à partager avec nous la jouissance de cet Etre souverain ; privilège qui n'appartient pas au corps, puisqu'il n'a de vie que par notre âme, qui seule nous fait jouir de Dieu.
29. On doit un égal amour à tous les hommes; mais comme il nous est impossible de faire du bien à tous, il faut consacrer de préférence nos services à ceux qu'en raison, des temps, des lieux, ou de toute autre circonstances, le sort nous a en quelque sorte plus étroitement unis. Car si vous aviez un superflu, dont il faudrait gratifier l'indigence, sans pouvoir en faire deux parts, et que vous rencontriez deux malheureux dont aucun ne pourrait se prévaloir da litre d'une misère plus profonde ou d'une amitié plus intime, rien de plus juste alors que de déterminer par le sort celui à qui vous devriez donner ce qu'il vous serait impossible d'accorder aux deux en même temps ; ainsi en est-il à l'égard des hommes ; ne pouvant étendre vos faveurs à tous, regardez comme vous étant d signés par le sort ceux que les circonstances de cette vie vous rattachent par des liens plus étroits.
