CHAPITRE XXIX. ON DOIT TENDRE A CE QUE DIEU SOIT UNIVERSELLEMENT AIMÉ.
30. L'amour que nous avons pour tous les hommes appelés de concert avec nous à la jouissance de Dieu, s'étend à ceux que nous assistons ou qui nous assistent, à ceux dont nous soulageons l'indigence ou qui peuvent soulager la nôtre, et à ceux mêmes avec lesquels nous n'avons aucun échange de services réciproques. Or, nous devons désirer de les voir tous partager notre amour pour Dieu, et faire converger à cette fin tous les services que nous leur rendons ou que nous recevons de leur part. Dans ces théâtres où règnent la licence et la corruption, on voit un spectateur se prendre d'affection pour un comédien, et mettre son plus grand bonheur à le voir exceller dans son art ; il aime tous ceux qui partagent son sentiment, non en leur propre considération, mais en vile de celui qui est l'objet de leur affection commune ; plus son amour est vif et ardent, plus il s'attache à faire briller son talent et à lui concilier les coeurs ; s'il voit quelqu'un rester insensible, il essaie de vaincre sa froideur en l'accablant des louanges de son favori ; s'il en rencontre un autre qui haïsse celui qu'il aime., il s'irrite contre cette haine, et multiplie ses efforts pour arriver à l'éteindre. Et nous, que ne devons-nous pas faire polir étendre et propager l'amour de Dieu, dont la jouissance est le principe du vrai bonheur ; de Dieu, dont ceux qui l'aiment tiennent tout ce qu'ils sont, jusqu'à cet amour même ; de Dieu, dont nous n'avons pas à craindre qu'il puisse déplaire à ceux qui l'ont une fois connu ; de Dieu enfui, qui veut; être aimé, non pour son propre avantage,- mais pour donner à ceux qui l'aiment une récompense éternelle, qui sera de le posséder lui-même? De là vient que nous aimons jusqu'à nos ennemis; et qu'aurions-nous à craindre d'eux puisqu'ils ne peuvent nous enlever l'objet de notre amour? Ils nous inspirent plutôt une affectueuse compassion, car ils ont le malheur de nous haïr d'autant plus qu'ils sont plus éloignés du Dieu que nous aimons. S'ils reviennent à lui, ils sont invinciblement entraînés à l'aimer, comme la source du vrai bonheur, et à nous aimer nous-mêmes, comme étant destinés à partager avec eux la même félicité.
