CHAPITRE XXXVI et XXXVII. CE QU'IL FAUT PENSER D'UNE INTERPRÉTATION DEFECTUEUSE DE L'ÉCRITURE, SI ELLE SERT A ÉDIFIER LA CHARITÉ. ON DOIT INSTRUIRE UN INTERPRÈTE QUI SE TROMPE.
40. C'est donc à tort qu'on se flatterait de comprendre les divines Ecritures en tout; ou en partie, si cette connaissance ne sert pas à établir le double amour de Dieu et du prochain : c'est ne pas en avoir encore la moindre intelligence. Mais celui qui en exprime un sens propre à édifier cette même charité, sans toutefois rendre la pensée de l'écrivain sacré dans le passage qu'il interprète, se trompe à la vérité ; cependant son erreur n'est point dangereuse, et réellement il ne ment point. Le mensonge, en effet, suppose en celui qui l'émet l'intention délibérée de dire une fausseté, et c'est pourquoi nous rencontrons tant d'hommes qui veulent bien mentir et pas un seul qui supporte d'être trompé. Si donc l'homme émet sciemment le mensonge , et se laisse tromper que par l'ignorance, il est évident que, sur le même sujet, la condition de l'homme trompé est préférable à celle du menteur; car il vaut mieux être victime de l'injustice que de la commettre. Or, mentir, c'est commettre une injustice; et penser que le mensonge peut être quelquefois utile, c'est s'obliger à en dire autant de l'injustice. Mentir, c'est par là même être infidèle, puisque c'est exiger de celui que l'on trompe une foi que l'on viole à son égard. Mais tout violateur de la foi est injuste; donc ou l'injustice est quelquefois utile, ce qui est impossible, ou bien il faut admettre que le mensonge ne le sera jamais.
41. L'interprète qui donne aux divines Ecritures un sens différent de celui de l'auteur sacré, tombe dans l'erreur, malgré leur infaillible véracité; mais, comme je l'ai observé, si son erreur est propre à édifier la charité, qui est la fin des commandements, elle ne ressemble qu'à celle du voyageur qui abandonne son chemin, et qui së rend à travers la campagne au terme où ce chemin devait le faire aboutir. Toutefois on doit redresser son erreur, et lui faire comprendre toute l'importance qu'il y a de ne pas s'écarter de la voie, dans la crainte que l'habitude d'en sortir ne l'entraîne dans une direction opposée ou dangereuse. Car en donnant sur un point une interprétation téméraire qui ne rend pas la pensée de l'auteur inspiré, il rencontre presque toujours des détails qu'il ne peut faire accorder avec son sentiment. S'il admet que ces passages ne contiennent rien que de vrai et d'incontestable, l'interprétation qu'il avait émise ne peut qu'être faussé; et alors, par une conséquence inexplicable, l'attachement à son propre sens le conduit à condamner plutôt la parole de l'Ecriture que son sentiment privé; et s'il s'abandonne à ce travers funeste, il y trouvera infailliblement sa ruine. « Car nous marchons ici-bas par la foi, et non encore par la claire vue 1. » Or la foi devient chancelante dès que l'autorité des divines Ecritures est ébranlée : et dès lors que la foi chancelle, la charité elle-même se refroidit. Ainsi perdre la foi c'est perdre nécessairement la charité ; car comment aimer ce qu'on ne croit pas exister ? Mais quand on croit et que l'on aime, quand de plus la vie est sainte et pure , on sent naître en même temps l'espérance de parvenir à l'objet aimé. Toute science et toute interprétation de l'Ecriture est donc fondée sur ces trois vertus : la foi, l'espérance et la charité.
I Cor. V, 7. ↩
