CHAPITRE XIII. COMMENT IL FAUT CORRIGER UN DÉFAUT DE TRADUCTION.
49. Mais il est souvent difficile de découvrir la véritable pensée de l'écrivain sacré, au milieu des différentes traductions que les interprètes ont cherché à en donner, dans la mesure de leur pénétration et de leur intelligence, à moins de consulter la langue qu'ils ont traduite en latin, ou de consulter les traductions de ceux qui se. sont trop attachés aux mots. Ces traductions ne suffisent pas sans doute, mais elles servent à découvrir la vérité ou l'erreur dans celles ou l'on a préféré suivre la pensée plutôt que la signification rigoureuse des expressions. Car on donne souvent des traductions de mots et même de locutions que la langue latine se refuse d'admettre, quand on veut conserver les principes des premiers maîtres en cette langue. Ces sortes de traductions ne nuisent pas ordinairement à l'intelligence des choses ; mais elles peuvent choquer les esprits que la pensée frappe plus agréablement, quand elle, est rendue dans son intégrité sous les termes qui lui sont propres. Le solécisme, par, exemple, n'est qu'une alliance de mots contraire aux règles tracées avant nous par les maîtres du langage. Or, qu'importe à celui qui ne cherche que la vérité, de savoir s'il faut dire en latin : Inter homines ou inter hominibus. Un barbarisme n'est qu'un mot écrit ou prononcé autrement qu'il ne l'a toujours été avant nous. Qu'importe à celui qui demande à Dieu qu'il daigne lui pardonner ses péchés, de savoir s'il doit faire longue ou brève la troisième syllabe de ignoscere, pardonner, et de quelle manière il faut le prononcer ? La pureté du langage est-elle donc autre chose que la conformité aux règles observées autour de nous et autorisées par la pratique des temps antérieurs?
20. Mais plus les hommes sont faibles, plus ils sont susceptibles, et ils sont d'autant plus faibles qu'ils veulent paraître plus instruits. Je dis plus instruits, non dans la connaissance de la vérité, dont le propre est d'édifier, mais dans la science du langage, dont il est facile de tirer vanité, puisque la science de la vérité même n'engendre que trop souvent l'orgueil, si l'esprit ne s'abaisse sous le joug du Seigneur. La construction de la phrase suivante est-elle un obstacle au lecteur : Quae est terra in qua isti insidunt super eam, etc : « Considérez quel est le pays et les peuples qui l'habitent, s'il est bon ou mauvais et quelles sont les villes et ceux qui y résident 1 ? Plutôt que d'y chercher un sens profond et mystérieux, je n'y vois qu'une forme d'expression empruntée à une langue étrangère. De même le terme floriet, en usage parmi les peuples dans le chant de ce verset des psaumes : Super ipsum autem floriet sanctificatio mea : « Ma sainteté fleurira sur sa tête 2, » n'enlève rien à l'intégrité de la pensée. Et cependant une oreille plus délicate et plus exercée préférerait entendre florebit au lieu de floriet. L'emploi habituel de ce terme dans le chant s'oppose seul à ce qu'on fasse cette simple correction. Le lecteur qui ne s'arrête pas à ce qui ne peut altérer le sens véritable, n'attache aucune importance sérieuse à ces irrégularités de langage. Il en serait autrement dans ce passage de saint Paul : Quod stultum est Dei, sapientius est hominibus, et quod infirmum est Dei, fortius est hominibus : « Ce qui paraît en Dieu une folie est plus sage que la sagesse des hommes, et ce qui paraît en Dieu une faiblesse est plus fort que la force des hommes 3. » Si. on eût voulu reproduire la construction grecque et dire : Sapientius est homiuum, fortius est hominum, un lecteur attentif en aurait sans doute saisi le sens vrai, mais un esprit moins pénétrant ou n'aurait pas compris, ou serait tombé dans une fausse interprétation. Car cette locution, en latin, est non-seulement défectueuse, mais présente aussi une équivoque, et semble insinuer que la folie et la faiblesse des hommes ont plus de sagesse et de force que la force et la sagesse de Dieu. Sapientius est hominibus, n'est pas d'ailleurs sans ambiguïté, quoiqu'il n'y ait pas de solécisme; c'est l'évidence de la pensée qui seule fait reconnaître si hominibus est au datif ou à l'ablatif. La traduction la plus irréprochable, eût donc été celle-ci Sapientius est quam homines, fortius est quam homines.
