38.
La premier vice de l'âme raisonnable consiste dans la volonté de faire ce que défend l'intime et souveraine vérité. Ainsi l'homme fut chassé du paradis dans ce siècle, c'est-à-dire qu'il échangea les biens éternels contre les biens passagers, l'abondance contre la pauvreté, la force contre la faiblesse. Il ne passa point du bien substantiel au mal substantiel, car le mal n'est pas une substance; mais il alla du bien éternel au bien temporel, du bien spirituel au bien charnel, des joies intellectuelles aux joies sensuelles, du bien suprême au bien infime. Il y a donc un bien dont l'attachement est pour l'âme raisonnable un péché, parce qu'il est pour elle d'un ordre inférieur. C'est le péché qui est mal, et non l'être dont l'amour est péché. Aussi n'était-il point mauvais l'arbre planté au milieu du paradis; le mal fut la transgression du commandement divin et comme la faute fut suivie de son juste châtiment, ce fut réellement de cet arbre, auquel il ne fallait pas toucher, que vint la science du bien et du mal. En effet, lorsque souillée par son péché l'âme en subissait la peine, elle put mesurer la distance qu'il y avait entre le commandement rejeté par elle, et le péché dont elle se rendit coupable: ainsi le mal qu'elle ne voulut point reconnaître lorsqu'il fallait le fuir, elle le connut en l'expérimentant, et le bien qu'elle aimait trop peu en désobéissant, lui devint plus cher quand il fallut le reconquérir.
