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Aussi , de même que certains hommes préfèrent le vers à l'art même de le composer, parce qu'ils se sont plus appliqués à entendre qu'à comprendre1, ainsi il en est qui s'attachent aux créatures passagères, au lieu de chercher à connaître la divine providence qui les a créées et les conserve dans le temps. Enivrés des jouissances d'ici-bas, ils ne veulent point les voir passer et s'enfuir, et dans leur folie ils ressemblent à celui qui, à la lecture d'un beau poème, voudrait toujours entendre le son de la même syllabe. Jamais la poésie n'aura de si sots auditeurs , mais partout se rencontrent ces adorateurs insensés de la créature; car il n'est personne qui ne puisse facilement écouter non-seulement un seul vers, mais un poème tout entier; tandis qu'à peine est-il un homme à qui il soit possible de découvrir l'harmonie de tous les siècles. Ajoute à cela que nous ne faisons point partie nous-mêmes de ces oeuvres poétiques, au lieu que nous avons été condamnés à faire partie de ce monde. Nous jugeons simplement le poème qui se chante; mais il faut par nos fatigues concourir au travail des siècles. D'ailleurs les combats du cirque ne plaisent pas aux vaincus, quoique leur défaite en fasse l'ornement : (c'est ici une ombre de la vérité : et ce qui nous interdit de semblables spectacles, c'est uniquement la crainte que ces simulacres De nous entraînent loin de la réalité, dont ils ne sont que la trompeuse image.) Ainsi n'y a-t-il que les impies et les réprouvés qui condamnent la nature et le gouvernement de tout cet univers ; au contraire, l'action providentielle, lors même qu'elle punit les méchants, fait la joie de ceux qui remportent la victoire ici-bas et de ceux qui la contemplent sans péril dans le ciel. Car rien de juste ne déplaît au juste.
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On peut voir dans saint Augustin même que la poésie des anciens était essentiellement musicale. Ci-dev. Traité de la Musique. ↩