62.
L'oeil lui-même ne trompe pas: il né peut que redire à l'esprit ce qui l'a frappé ; et si à son exemple les autres sens nous communiquent leurs impressions comme ils les éprouvent, pouvons-nous exiger davantage? Arrière donc les vaniteux et il n'y aura plus de vanité ! Un homme s'imagine que le bâton se brise en pénétrant dans l'eau; qu'il se redresse, dès qu'on le retire. Son oeil n'est pas infidèle, c'est lui qui juge mal. L'oeil ne pouvait ni ne devait, attendu sa nature, voir autrement dans l'eau; et puisque l'eau ne ressemble point à l'air, quoi d'étonnant que les sensations soient différentes ? L'oeil a donc bien vu, car il n'est fait que pour voir; mais l'âme a mal jugé, car pour contempler la souveraine Beauté, c'est la réflexion et non l’oeil qui lui a été donnée. Et cette âme veut connaître les corps par l'esprit et Dieu par les yeux; comprendre les choses charnelles et voir les choses spirituelles, c'est tenter l'impossible.