LIII.
« Aussi la créature attend avec ardeur la manifestation des enfants de Dieu. Car elle est assujettie à la vanité, non point volontairement, » et la suite, jusqu'à ces mots inclusivement: « Nous aussi nous gémissons amèrement en nous-mêmes, attendant l'adoption, la rédemption de notre corps 1. » Ce passage ne doit pas nous faire penser que le sentiment de la douleur et de l'affliction réside dans les arbres, dans les plantes, dans les minéraux et dans les autres créatures de ce genre ; c'est là une erreur des Manichéens. Nous ne devons pas croire non plus que les saints Anges soient assujettis à la vanité, ni supposer qu'ils seront délivrés de la servitude de la mort, puisque assurément ils sont immortels : mais, sans faire aucune injure à l'homme,.nous devons penser qu'il renferme en lui-même toute créature. Les créatures en effet ne peuvent être que spirituelles, comme le sont surtout les anges; ou animales, comme on le voit clairement dans la vie des bêtes ; ou enfin corporelles, c'est-à-dire accessibles à la vue ou au toucher. Mais ces trois natures se trouvent dans l'homme, puisqu'il est à la fois esprit, vie et corps. Donc, « la créature qui attend la manifestation des enfants de Dieu, » c'est tout ce qui, dans l'homme, est aujourd'hui travaillé par la souffrance, assujetti à la corruption ; et ce qu'elle attend, c'est cette manifestation dont le même Apôtre dit ailleurs : « Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu; et quand le Christ, qui est votre vie, apparaîtra, alors vous aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire 2; » et dont saint Jean dit aussi: « Mes bien-aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu et on ne voit pas encore ce, que nous serons: mais nous savons que lorsqu'il apparaîtra nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est 3. » Ainsi, la créature qui attend la manifestation des enfants de Dieu, c'est celle qui est maintenant dans l'homme assujettie à la vanité, tant qu'elle s'attache aux choses temporelles qui passent comme l'ombre, suivant cette expression du Psalmiste: « L'homme est devenu semblable à la vanité; ses jours passent comme l'ombre 4. » Salomon parle aussi de cette vanité : « Vanités de vaniteux, s'écrie-t-il, et tout est vanité : quelle abondance l'homme recueille-t-il de tous les travaux qui l’occupent sous soleil 5 ? » Et David encore : « Pourquoi aimez-vous la vanité, et recherchez-vous le mensonge 6? » Saint Paul dit que la créature est assujettie à la vanité non pas volontairement, parce que en effet cette sujétion est une peine. La condamnation de l'homme n'a pas été volontaire, comme son péché; elle n'a pas été non plus infligée à notre nature sans aucune espérance de réhabilitation. Aussi l'Apôtre ajoute-t-il : « Mais à cause de celui qui l'y a assujettie en lui laissant l'espérance ; car cette même créature sera aussi affranchie de la servitude de la mort, pour la liberté glorieuse des enfants de Dieu. » Cette même créature, c'est-à-dire celle qui n'est encore que simple créature, celle que la foi n'a pas encore placée au nombre des enfants de Dieu.
Cependant l'Apôtre voyait dans ceux-mêmes qui devaient recevoir la foi cet affranchissement de la servitude de la mort, » pour ne plus en être esclaves, comme le sont les pécheurs ; car c'est au pécheur qu'il a été dit : « Tu mourras de mort 7. » La créature sera donc affranchie pour la liberté glorieuse des enfants de Dieu, » c'est-à-dire pour parvenir elle-même à la liberté glorieuse des enfants de Dieu, par la foi. Privée de cette foi, elle ne pouvait être appelée que simple créature; et c'est d'elle encore que l'Apôtre ajoutait : « Nous savons que la créature est dans la douleur et les gémissements jusqu'à cette heure. » Car il y en avait encore qui devaient croire, ceux dont l'esprit était soumis au joug cruel de toutes sortes d'erreurs. Toutefois, pour ne laisser pas croire qu'il n'avait en vue que les souffrances de ces hommes encore infidèles, saint Paul parle ensuite de ceux qui avaient déjà la foi. Ceux-ci étaient à la vérité soumis par l'esprit, c'est-à-dire par la raison, à la loi de Dieu; mais parce que notre chair mortelle, tant que nous souffrons ses vexations et ses sollicitations, nous soumet à la loi du péché 8, il ajoute : « Et non-seulement ceux-là, mais nous aussi qui avons les prémices de l'Esprit, nous gémissons amèrement en nous-mêmes. » La douleur donc et les gémissements ne sont pas, suivant l'Apôtre, le sort exclusif de ceux qu'il désigne sous le nom seul de créature, parce que, n'ayant pas reçu la foi, ils ne sont pas encore placés au nombre de enfants de Dieu; mais nous-mêmes qui avons la foi ; nous qui déjà possédons les prémices de l'Esprit dans notre union spirituelle à Dieu par la foi ; nous enfin qui sommes appelés pour cette raison, non plus seulement créatures, mais enfants de Dieu, oui « nous aussi nous gémissons amèrement en nous-mêmes, attendant l'adoption, la rédemption, de notre corps. » Car cette adoption, déjà réalisée dans ceux qui ont reçu la foi, n'a atteint que leur esprit et non leur corps. Celui-ci n'est point parvenu encore à sa transformation céleste, comme l'esprit que la foi a déjà changé en le réconciliant avec la vérité, en le ramenant de l'erreur à Dieu. Ainsi dans ceux-mêmes qui ont reçu la foi, subsiste toujours l'attente de cette manifestation qui doit s'opérer par la résurrection du corps : manifestation qui appartient à ce, quatrième état où notre paix sera de tout point parfaite, où notre repos sera éternel, où enfin notre nature corrompue cessera tout-à-fait de nous résister et ses sollicitations de faire notre tourment.