8.
« Son âme a reçu des bénédictions en cette vie1 ». Redoublez d’attention, mes frères: « Son âme a reçu des bénédictions en cette vie ». Tant que ce riche a vécu, il s’est fait du bien. Tel est le langage de tous, langage bien faux. Le bien n’était que dans l’esprit de celui qui le bénissait, et non dans réalité. Que dis-tu, en effet? qu’il a mangé, qu’il a bu, qu’il a fait à sa volonté, qu’il a vécu dans les festins splendides, et qu’ainsi il s’est fait du bien? Et moi, je dis qu’il s’est fait du mal. Car ce n’est point moi, mais Jésus-Christ qui dit que cet homme s’est fait son malheur. Quiconque voyait ce riche chaque jour en festin, croyait qu’il se traitait bien, et quand il a dû brûler dans les enfers, ce que l’on croyait bien, est devenu un mal, car il digérait dans les enfers ses festins d’ici-bas. Je parle de l’iniquité qui faisait sa nourriture. Sa bouche charnelle prenait des mets délicats, et la bouche de son coeur se repaissait d’iniquité. Cette nourriture de l’injustice que prenait ici-bas la bouche de son coeur, voilà ce qu’il digérait dans les supplices de l’enfer. Le plaisir de manger ne dura qu’un temps, la digestion sera éternelle. On mange donc l’iniquité, me dira quelqu’un? que signifie manger l’iniquité? Ce n’est point moi qui parle ainsi, mais bien l’Ecriture; écoutez: «Comme le raisin vert est pour les dents, la fumée pour les yeux, telle est l’iniquité pour celui qui la commet2 ». Se nourrir en effet de l’iniquité, ou la commettre volontiers, c’est ne plus se nourrir de la justice. Or, la justice est un pain. Quel pain? « Je suis le pain de vie descendu du ciel3 ». Tel est le pain de notre coeur. Celui qui mange des raisins verts en a les dents agacées et ne peut plus manger de pain, il ne peut plus que dire qu’il est bon sans pouvoir y toucher; ainsi en est-il de celui qui s’est nourri d’iniquité, qui a donné le péché en pâture à son coeur; incapable de manger le véritable pain, il en est réduit à louer la parole de Dieu sans l’accomplir. Pourquoi ne l’accomplit-il point? A peine se met-il en devoir, qu’il est pris de douleur, de même que nos dents nous font souffrir, quand nous voulons manger du pain après avoir mangé des raisins verts. Mais que font ceux qui ont les dents agacées? Ils s’abstiennent pendant quelque temps de manger des raisins verts, et leurs dents reprennent cette solidité, qui leur permet de manger du pain. Ainsi en est-il de nous qui faisons l’éloge de la justice. Si nous voulons en faire notre aliment, abstenons-nous de toute iniquité, et alors naîtra dans notre coeur non-seulement le bonheur de louer la justice, mais le bonheur de nous en nourrir. Qu’un chrétien dise : Dieu sait que j’aime le bien, mais que je ne puis le faire : il a les dents agacées, longtemps il s’est nourri d’iniquité. On se nourrit donc de justice? Si elle n’était pas un aliment, Dieu ne dirait point: « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice4». Donc, puisque « l’âme de cet homme sera bénie pendant sa vie », les bénédictions seront ici-bas pour lui, et les tourments après la mort.