11.
« Dieu a brisé leurs dents dans leur bouche1 ». A qui le Seigneur a-t-il brisé les dents? A ceux dont la fureur est pareille à la fureur du serpent et de l’aspic qui ferme ses oreilles pour n’entendre, ni la voix de l’enchanteur, ni celle du remède préparé par le sage. Qu’est-ce que Dieu leur a fait? « Il a brisé leurs dents dans leur bouche ». Dieu l’a fait, et, non-seulement il l’a fait autrefois, mais il le fait encore aujourd’hui. Cependant, mes frères, pourquoi ne pas se contenter de dire que « Dieu a brisé leurs dents », sans ajouter qu’il les a brisées « dans leur bouche? » Pareils au serpent et à l’aspic, dont nous parlions tout à l’heure, les Pharisiens ne voulaient entendre ni la loi, ni les préceptes que Jésus-Christ, la vérité même, leur apportait: leurs péchés passés étaient, pour eux, un objet de complaisance, ils ne voulaient point renoncer à la vie présente, c’est-à-dire qu’ils préféraient les joies passagères de ce monde aux joies durables de l’éternité. Ils ne voulaient rien écouter, car leurs oreilles étaient fermées, l’une par le plaisir que leur causait la mémoire du passé, l’autre par le plaisir que leur procuraient les biens présents. Pourquoi, en effet, ont-ils dit : « Si nous le laissons agir de la sorte, les Romains viendront et nous enlèveront notre ville et notre pays2? » C’est qu’ils ne voulaient point perdre leur ville. Par conséquent, ils avaient appliqué contre terre une de leurs oreilles; aussi ne voulurent-ils pas recevoir les paroles salutaires que leur adressait le sage, et y restèrent-ils sourds. Il est dit encore qu’ils étaient avares et aimaient l’argent, et nous trouvons dans l’Evangile l’histoire de toute leur vie, même de leur vie passée, faite par Jésus-Christ. Il suffit de lire ce livre divin pour comprendre ce qui leur fermait les deux oreilles.
Que votre charité veuille bien remarquer la conduite de Dieu à leur égard. « Il a brisé leurs dents dans leur bouche ». Que veulent dire ces mots : « Dans leur bouche ? » Ils signifient qu’il les a forcés de prononcer eux-mêmes leur condamnation, et que la sentence est sortie de leur propre bouche. Leur but était de pouvoir décrier le Sauveur, à l’occasion du tribut à payer à César. En réponse à leur question, Jésus ne leur dit ni qu’il était permis, ni qu’il était défendu de le payer. S’il avait dit : Payez le tribut à César, ils l’auraient accusé de manquer de respect à la nation Juive en la déclarant tributaire, car, la prédiction en avait été faite dans la loi: c’était en raison de leurs péchés qu’ils subissaient l’humiliante nécessité de payer un tribut. S’il nous oblige, disaient-ils, à remplir ce devoir à l’égard de l’empereur, nous aurons une preuve contre lui, nous l’accuserons d’outrager la nation. Si, au contraire, il nous dit: Ne payez pas, vous n’y êtes pas tenus, nous aurons toute facilité de prouver qu’il s’est déclaré contre César et nous a empêchés de lui rendre nos devoirs. Tel fut le double piége qu’ils tendirent au Sauveur , comme s’ils avaient pi,i espérer l’y prendre. Mais à qui s’adressaient-ils? A celui qui savait briser les dents de ses adversaires dans leur bouche. « Montrez-moi une pièce de monnaie », leur dit-il : « Hypocrites, pourquoi me tentez-vous? » Pensez-vous à payer le tribut? Voulez-vous observer la justice? Me demandez-vous un conseil pour devenir justes? « Si vous parlez sincèrement selon la justice, soyez donc justes dans vos jugements, ô enfants des hommes ». Mais puisque votre langage est tout opposé à vos jugements, vous n’êtes que des hypocrites : « Pourquoi me tentez-vous ? » Je vais briser vos dents dans votre bouche. « Montrez-moi une pièce de monnaie ». Et ils en mirent une sous ses yeux. Et au lieu de leur dire: Voilà l’image de César, il leur adresse cette question: « De qui est cette image ? » Par là il brisait leurs dents dans leur bouche; car, Jésus leur demandant quelles étaient l’image et l’inscription gravées sur cette pièce de monnaie, ils furent obligés de répondre que c’étaient celles de César. Le Sauveur avait, dès lors, toute facilité de briser leurs dents dans leur bouche. Vous avez répondu : aussi vos dents sont-elles brisées dans votre bouche. « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu3 ». César vous demande son image: rendez-la-lui. Dieu vous demande la sienne: faites de même. Vous n’avez pas le droit de faire perdre à César sa monnaie: vous n’avez pas davantage le droit d’enlever à Dieu ce qui lui appartient. A cela qu’avaient-ils à répondre? Rien. Ils avaient été envoyés vers Jésus pour trouver en lui un motif de le décrier : ils revinrent en disant qu’il était impossible de lui répondre. Pourquoi cela ? Parce que leurs dents avaient été brisées dans leur bouche.