10.
L’excellence de notre Chef m’engage à vous parler ici de lui. Il a, en effet, voulu devenir faible jusqu’à mourir, et pour rassembler sous ses ailes les petits de Jérusalem, il s’est revêtu de,l’infirmité de notre chair, imitant par là l’exemple de la poule qui se fait petite avec ses petits. De tous les oiseaux que nous avons été à même d’examiner, qui font leurs nids sous nos yeux, par exemple les oiseaux de murailles, les hirondelles qui viennent tous les ans nous demander l’hospitalité, les cigognes et les autres oiseaux d’espèces différentes qui font leurs nids devant nous, qui couvent leurs oeufs et nourrissent leurs petits, comme les pigeons dont nous pouvons tous les jours étudier les mouvements ; de tous ces oiseaux il n’en est aucun pour se faine petit avec ses petits; nous n’en avons jamais rencontré, connu ou vu, pour ressembler à la poule. Car, que fait-elle? Je ne relate pas ici un fait inconnu; tous ceux qui m’entendent le savent pour en avoir été souvent témoins voyez comme sa voix devient rauque, comme son corps tout entier se hérisse; ses ailes traînent à terre, ses plumes tombent ; elle éprouve pour ses petits je ne sais quel malaise, et cette sorte de maladie n’est chez elle que l’effet de son amour maternel. Voilà pourquoi, dans la sainte Ecriture, le Sauveur se compare à une poule et tient ce langage : « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j’ai voulu rassembler tes petits, comme la poule rassemble les siens sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu1 ! » Comme fait une poule pour ses petits, ainsi a-t-il rassemblé toutes les nations en se faisant faible pour nous, en nous empruntant, en empruntant au genre humain l’infirmité de la chair, en se laissant crucifier, mépriser, souffleter, flageller, attacher au bois de sa croix et percer d’un coup de lance. En tout cela nous devons voir l’effet de sa tendresse de mère pour nous, et non pas la preuve de la perte de sa puissance souveraine; et parce qu’il a été réduit à cet état de faiblesse et d’humiliation, il est devenu une pierre d’achoppement et de scandale contre laquelle plusieurs se sont heurtés2. Réduit à cet état d’infirmité, revêtu de notre chair sans en prendre le péché, le Christ est devenu participant de notre faiblesse, sinon de notre injustice; et, en prenant ainsi part à notre faiblesse, il a fait disparaître notre injustice; c’est pourquoi il dit : « J’ai couru sans injustice et j’ai suivi la voie droite ». Mais ne devons-nous pas voir en lui la nature divine ? devons-nous méconnaître en lui la toute-puissance qui nous a créés, pour ne considérer que ce qu’il a bien voulu devenir pour nous racheter? Certes, il est de ton devoir de ne pas négliger la considération de ses grandeurs ; c’est même une grande preuve de piété de ta part que d’apprendre à connaître Celui qui a tant souffert pour toi. Ce n’est pas un être vil et méprisable, c’est le premier de tous les êtres qui a souffert pour toi; et toi, qui es-tu? Un grand personnage? Hélas, tu n’es qu’une faible créature! Qu’a-t-il fait pour toi? Il est devenu tout petit, car « il s’est humilié et s’est fait obéissant jusqu’à la mort». Et qui était-il? Ecoute : l’Ecriture l’a dit avant de parler de ses humiliations : « Etant dans la forme de Dieu il n’a pas cru faire un larcin en se disant égal à Dieu » ; mais lui qui était semblable à Dieu « s’est anéanti lui-même en prenant la forme d’esclave et en se rendant semblable aux hommes3 ». Il s’est anéanti de telle sorte qu’il a pris ce qu’il n’était pas, sans perdre néanmoins ce qu’il était.
Mais comment s’est-il anéanti? En ce qu’il s’est offert à tes regards dans cet état d’anéantissement; en ce qu’il a dérobé à tes yeux la suprême grandeur qu’il possède en son Père; en ce que, sur la terre, il ne te fait voir que son infirmité, se réservant de te rendre témoin de sa gloire quand tu seras entré, purifié de toute souillure, dans le ciel. Egal à son Père, il est devenu l’homme de douleurs, et pourtant, à travers le voile de sa faiblesse, nous devons voir en lui, avec les yeux de la foi, sinon avec ceux de la chair, le Fils de l’Eternel, et croire du moins ce que nous ne pouvons contempler face à face; ainsi mériterons-nous de considérer à découvert ce que, par l’impuissance de nos organes, nous pouvons seulement croire aujourd’hui. Après sa résurrection il apparut à Marie-Madeleine et lui dit avec grande raison: «Ne me touche point, parce que je ne suis pas encore monté vers mon Père4 ». Pourquoi parler ainsi, puisque peu après les saintes femmes le touchèrent? Effectivement, au moment où elles venaient de quitter le tombeau pour retourner à Jérusalem, il se présenta devant elles, et aussitôt elles se prosternèrent à ses pieds pour l’adorer, et les embrassèrent5. Les disciples eux-mêmes furent admis à toucher ses plaies6. Quel sens dominer à ces paroles : « Ne me touche point, parce que je ne suis pas encore monté vers mon Père? » Celui-ci, sans doute : Ne crois pas que je sois seulement ce que tu vois; n’arrête donc pas tes regards à ce que tu touches. Tu me vois toujours dans la faiblesse, parce que je ne suis pas encore monté vers mon Père. Je suis descendu du ciel pour habiter parmi vous, mais je n’ai pas encore quitté la terre pour remonter auprès de mon Père, puisque je ne me suis pas encore séparé de vous. Il était descendu sur la terre sans quitter le ciel : il est remonté au ciel sans quitter la terre. Mais que signifie cette ascension du Sauvtur vers son Père? Elle signifie la connaissance que nous acquérons de son égalité avec son Père. Pour nous, nous montons, lorsque nous devenons plus parfaits et plus capables de voir, de comprendre et de saisir ce mystère. Il remit donc à un autre temps, pour Marie-Madeleine, la permission de le toucher, mais il ne la lui refusa pas pour toujours; il ne lui en enleva pas l’espérance, il ne fit qu’en différer l’accomplissement. « Car », dit-il, « je ne suis pas encore monté vers mon Père. Il est sorti du plus haut des cieux ; on le rencontre au plus haut des cieux7». Le plus haut des cieux, c’est-à-dire la plus relevée de toutes les choses spirituelles, c’est le Père; voilà d’où le Fils est descendu, voilà où il est remonté, car il est remonté jusqu’au plus haut des cieux. S’il n’était égal à son Père, pourrait-il remonter jusque-là? Enfin, lorsque nous comparons ensemble deux objets inégaux et que nous appliquons l’une contre l’autre deux mesures d’inégale grandeur, pour voir dans quel rapport elles sont entre elles, si leurs dimensions sont différentes, nous disons que ces deux objets, ces deux mesures, ne se rencontrent pas si, au contraire, leurs dimensions se trouvent être pareilles, nous disons qu’ils se rencontrent. Donc, parce que le Fils est égal à son Père, « sa rencontre est au plus haut des cieux ». Tel il voulait se faire connaître de ses serviteurs fidèles, quand il disait : «Ne me touche pas ». Il voulait obtenir cette grâce de la part de son Père en leur faveur, en lui adressant cette prière : « Levez-vous, venez à ma rencontre et voyez ». Faites connaître que je vous suis égal. Jusques à quand Philippe me dira-t-il: « Montrez-nous votre Père, et cela nous suffit? » Jusques à quand lui répondrai-je : « Je suis avec vous depuis si longtemps et vous ne connaissez pas mon Père? Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père. Ne crois-tu pas que je suis en mon Père et que mon Père est en moi8? »Ce disciple ne croit peut-être pas encore à cette égalité. « Levez-vous donc, venez à ma rencontre, et voyez ». Faites qu’on me voie, qu’on vous voie aussi, et que les hommes sachent que nous sommes égaux. Loin des Juifs l’idée de n’avoir crucifié qu’un homme; sans doute le Sauveur n’a été attaché à la croix que comme homme, mais il est vrai de le dire, ils n’ont pas su qui ils faisaient mourir; car s’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Roi de gloire9. Mais, afin que mes fidèles connaissent ce Roi de gloire, « levez-vous, venez à ma rencontre, et voyez.