1.
Nous apparaissons au monde pour être agrégés au peuple de Dieu au moment où cet arbrisseau qui a germé d’un grain de sénevé étend au loin ses rameaux; où ce levain d’abord méprisable a fermenté dans trois mesures de farine1, c’est-à-dire dans l’univers entier que repeuplèrent les trois fils de Noé2: car on vient en foule de l’Orient et de l’Occident, de l’Aquilon et du Midi pour reposer avec les patriarches, tandis que leurs descendants selon la chair, mais qui n’ont pas imité leur foi, sont chassés dehors3. Nous avons donc ouvert les yeux en face de cette gloire de l’Eglise du Christ elle jadis stérile, mais à qui l’on prédisait la joie, et l’on annonçait qu’elle aurait une postérité plus nombreuse que celle qui avait l’Epoux4, nous voyons qu’elle a oublié les opprobres et les ignominies de son veuvage aussi pouvons-nous être dans l’étonnement quand nous lisons dans quelques prophéties des paroles d’humilité dans la bouche du Christ ou dans notre bouche. Il est possible encore que nous en soyons moins touchés; car nous ne sommes point venus dans le moment où, sous le pressoir de la persécution, l’on en goûtait la lecture. Mais si nous considérons combien nos tribulations sont nombreuses, combien est étroit5 le chemin où nous marchons, si tant est que nous y marchions, et par quelles douleurs, par quelles angoisses il nous conduit à ta vie éternelle : si nous examinons combien ce que l’on appelle bonheur en cette vie est plus à craindre que le malheur; car le malheur bien souvent nous fait recueillir de la tribulation un fruit excellent, tandis que Le bonheur corrompt notre âme par une fausse sécurité, et donne lieu aux tentatives du démon; en considérant donc avec prudence et droiture, comme la victime déjà prête, que la tentation est le fond de la vie humaine sur la terre6, que nul homme n’est dans une sécurité parfaite, qu’il ne doit être sans crainte que quand il arrivera dans la patrie, d’où nul ami ne s’en va, où n’entre aucun ennemi; même aujourd’hui dans les splendeurs de l’Eglise nous retrouvons nos cris dans ces cris de détresse. Alors comme membres du Christ, unis à notre chef par les liens de la charité, pour nous maintenir réciproquement, nous dirons des psaumes, ce qu’en dirent les martyrs qui ont passé avant nous; car depuis le commencement jusqu’à la fin, la tribulation est connue à tous les hommes. Toutefois reconnaissons dans le grain de sénevé7 le psaume que nous entreprenons d’exposer, et dont nous voulons parler à votre charité au nom du Seigneur. Détournons quelque peu notre pensée de la hauteur de cet arbrisseau, de l’étendue de ses branches, et de cette majesté où viennent se reposer les oiseaux du ciel ;et voyons de quelle petitesse a pu surgir cette immensité qui nous plaît dans cet arbre. C’est le Christ qui parle ici, vous le savez déjà, le Christ non-seulement comme chef, mais aussi dans ses membres. Nous le reconnaissons à ses paroles. Que le Christ parle ici, il ne nous est aucunement permis d’en douter. Il y a ici en effet des plaintes prophétiques accomplies dans sa passion : « Ils m’ont donné du fiel pour nourriture, et du vinaigre pour étancher ma soif8 » : c’est là ce qui fut alors réalisé à la lettre, et dans tous les détails de la prophétie. Après que le Christ suspendu à la croix a dit : « J’ai soif », et qu’à cette parole on lui a offert dans une éponge, du vinaigre qu’il goûta; après qu’il s’est écrié : « Tout est consommé», et que baissant la tête, il a rendu l’esprit9, voulant nous montrer que toutes les prophéties à son sujet étaient accomplies, dès lors il ne nous est plus permis d’y voir une autre signification. Les Apôtres parlant du Christ ont puisé des témoignages dans ce psaume. Qui oserait s’écarter de leurs sentiments? quel agneau ne suivra les béliers du troupeau? C’est donc le Christ qui parle ici; et pour nous, il est mieux d’indiquer les endroits où la parole est à ses membres, afin de montrer que c’est le Christ tout entier qui parle ici, que de douter que ce langage appartienne au Christ.