2.
Le titre de notre psaume est comme d’ordinaire une inscription placée sur le seuil pour indiquer ce que l’on fait dans la maison: « Pour David, psaume des fils de Jonadab, et « de ceux qui furent emmenés les premiers en captivité1». Jonadab fut un homme dont Jérémie releva les vertus dans ses prophéties, et qui avait prescrit à ses enfants de ne point boire de vin, non plus que d’habiter dans des maisons, mais dans des tentes. Or, les fils demeurèrent dans les prescriptions de leur père, et méritèrent ainsi que le Seigneur les bénît2.
Ce n’était point le Seigneur, mais bien kur père qui avait fait ces prescriptions. Ils les acceptèrent néanmoins comme si elles émanaient de leur Dieu : car si le Seigneur n’avait pas enjoint de ne point boire de vin, et d’habiter sous des tentes, il avait toutefois ordonné aux enfants d’obéir à leur père. Le fils ne doit donc refuser obéissance à son père, que quand le père lui commande contrairement à son Dieu. Car le père n’a plus alors le droit de s’irriter de la préférence que l’on donne à Dieu, sur lui. Mais quand le père commande ce que Dieu ne défend point, on doit lui obéir comme à Dieu, puisque Dieu a ordonné d’obéir à un père. Dieu bénit donc les fils de Jonadab à cause de leur obéissance, et les opposa à son peuple rebelle, lui reprochant de n’obéir point à son Dieu, tandis que les fils de Jonadab étaient fidèles aux prescriptions de leur père. Or, Jérémie, dans ce rapprochement, avait pour but de les préparer à être emmenés à Babylone, à ne point résister à la volonté de Dieu, et à n’attendre de l’avenir que la servitude. Telle est donc la couleur que l’on a voulu donner au titre du psaume; aussi après avoir dit: « Des fils de Jonadab »,on ajoute: « Et des premiers qui furent emmenés en captivité », non que les fils de Jonadab aient été captifs, mais parce que l’exemple de leur obéissance à leur père était proposé àceux qui allaient être emmenés captifs, afin qu’ils comprissent que leur captivité était le châtiment de leur rébellion envers Dieu. Ajoutez à cela que Jonadab signifie le volontaire de Dieu. Qu’est-ce à dire volontaire de Dieu? Qui sert Dieu de plein gré. Qu’est-ce à dire volontaire de Dieu? « Seigneur, vos volontés sont dans mon âme, je chanterai vos louanges3 ». Qu’est-ce à dire encore le volontaire de Dieu? « Je vous fais le sacrifice de ma volonté4 ». Car si l’enseignement des Apôtres avertit le serviteur d’obéir à l’homme qu’un pour maître, non point comme par nécessité, mais de bon gré, et d’affranchir son coeur, par un service volontaire, combien plus votre volonté doit être pleine, entière, affectueuse, quand il s’agit du service de Dieu qui voit cette volonté ? Qu’un serviteur te serve à contre-coeur, tu peux bien voir sa main, son visage, sa présence, mais non découvrir son coeur. Et pourtant l’Apôtre leur dit : « Ne servez point sous le regard seulement »
Qu’est-ce à dire, «sous le regard?» Quoi donc! mon maître va-t-il pénétrer la manière dont je le sers, pour me dire de ne point servir « à cause de son oeil? » Il ajoute: « Servez comme si vous serviez le Christ». Cet homme, votre maître, ne voit point, mais le Christ, votre Maître, vous voit. « Servez donc de coeur», dit l’Apôtre, « et d’une pleine volonté5 ». Tel fut Jonadab, ou plutôt, tel est le sens de son nom. Mais que signifient « ceux qui furent les premiers emmenés captifs? » Les Juifs furent emmenés en captivité une première, une seconde et une troisième fois. Mais le psaume ne parle ni pour ceux, ni de ceux qui furent emmenés les premiers : en discutant le psaume, en le sondant, en scrutant le sens de tous les versets, on voit qu’il a un tout autre sens, et qu’il n’y est aucunement question de je ne sais quels hommes, qui, à telle invasion de leurs ennemis, furent, je ne sais à quelle époque, emmenés captifs de Jérusalem à Babylone. Mais que nous dit le psau nie, sinon ce que vous avez entendu à la lecture de saint Paul? Il nous prêche la grâce de Dieu; et il nous la prêche, parce que de nous-mêmes nous ne sommes rien : il nous la prêche, parce que tout ce que nous sommes, c’est par la divine miséricorde, et que de nous-mêmes nous ne sommes que méchants. Pourquoi donc nous appeler « captifs? » et pourquoi ce mot de captivité doit-il nous signaler la grâce du libérateur ? L’Apôtre nous fait cette réponse : « Chez moi l’homme intérieur se plaît dans la loi de Dieu : mais je sens dans mes membres une loi contraire à la loi de l’esprit, et qui me tient captif sous la loi du péché qui est dans mes membres ». Te voilà donc réduit en captivité. Que dit alors le psaume? Ce que dit ensuite l’Apôtre: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur6 ». Mais après l’explication du terme « captifs n, pourquoi « les premiers? » Cela devient clair, si je ne me trompe. C’est qu’auprès des fils de Jonadab toute désobéissance devient coupable. Or, c’est la désobéissance qui nous a réduits en captivité, car Adam lui-même fut coupable de désobéissance. Aussi saint Paul a-t-il dit , et c’est la vérité, « que tous meurent en Adam, en qui tous ont péché7 ». Il est donc vrai que « les premiers furent emmenés en captivité » : puisque « le premier homme est l’homme terrestre formé de la terre, le second est l’homme céleste, qui vient du ciel. Comme le premier fut terrestre, ses enfants sont terrestres; comme le second est céleste, ses enfants sont célestes. De même que nous avons porté l’image de l’homme terrestre, portons aussi l’image de Celui qui est dans le ciel ». Le premier homme nous a rendus captifs, le second nous délivrera de la servitude. « De même en effet que tous meurent en Adam, tous aussi vivront en Jésus-Christ8 ». Mais ils meurent en Adam à cause de leur naissance charnelle, ils seront délivrés dans le Christ par la foi du coeur. Tu n’étais pas libre de ne point naître d’Adam, et tu es libre de croire au Christ. Autant donc tu voudras appartenir au premier homme, autant tu feras partie de la captivité. Et qu’est-ce à dire : Tu voudras appartenir? ou même tu appartiendras? Tu en fais partie déjà : crie donc: « Qui me délivrera de ce corps de mort9? » Ecoutons ce même cri dans la bouche du Psalmiste