4.
Cette affliction n’est pas une peine telle quelle. Quiconque ne devance pas encore, ne con naît d’autre affliction que celle qui nous survient en des temps fâcheux; mais celui qui s’avance ici regarde toute sa vie comme une peine. Telle est son ardeur pour la céleste patrie, que son pèlerinage sur la terre est sa plus grande tribulation. Comment, je vous le demande, cette vie-ci ne serait-elle pas une calamité? Comment ne serait-elle point une tribulation, quand elle est appelée une tentation continuelle? On lit en effet dans le livre de Job: « La vie de l’homme sur la terre n’est-elle pas une épreuve1? » Nous dit-il que la vie de l’homme est éprouvée sur la terre? Du tout. « Elle est elle-même l’épreuve»; si elle est épreuve, elle est aussi tribulation. Ainsi donc, dans cette tribulation, c’est-à-dire dans cette vie, l’homme qui devance a cherché Dieu. Comment? « De mes mains », répond-il. Qu’est-ce à dire, « de mes mains? » Par mes oeuvres. Car il ne cherchait rien de corporel qu’il pût toucher, comme on cherche une monnaie d’or ou d’argent qu’on a perdue, ou toute autre chose que la main peut toucher. Il est vrai que Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même voulut qu’on le touchât des mains, quand il montra ses plaies au disciple qui doutait. Mais quand après avoir touché les cicatrices des plaies, il se fut écrié : « Mon Seigneur et mon Dieu » ; n’entendit-il pas:
«Tu as cru, parce que tu as vu: bienheureux ceux qui ont cru sans voir2? » S’il mérita ce reproche pour avoir cherché Jésus-Christ de ses mains, en sorte qu’il soit ignominieux d’avoir cherché Dieu de la sorte ; nous qui sommes appelés bienheureux parce que nous avons cru sans voir, pourquoi chercherions-nous te Seigneur, de la main ? Nous le chercherons, disons-nous, par nos oeuvres. Quand le chercherons-nous? « La nuit ». Qu’est-ce à dire, « la nuit? » En cette vie. Car la nuit règne tant que ne paraît point le jour où Jésus-Christ Notre-Seigneur doit paraître dans sa gloire. Voulez-vous corn prendre que nous sommes dans la nuit? C’est que si nous n’avions un flambeau nous serions continuellement dans les ténèbres. Saint Pierre dit en effet: « Nous avons une preuve plus frappante dans les oracles des Prophètes, sur lesquels vous avez raison d’arrêter les yeux, comme sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur, jusqu’à ce que vienne à poindre le jour, et que l’étoile du matin se lève dans vos coeurs3 ». Il viendra donc après cette nuit, mais pendant cette nuit servons-nous d’un flambeau. C’est là sans doute ce que nous faisons actuellement: vous exposer les saintes Ecritures, c’est vous donner comme consolation dans nos ténèbres, un flambeau qui doit toujours être allumé dans vos demeures ; car c’est à ce sujet qu’il est dit:
« N’éteignez point l’esprit4 ». Et comme pour expliquer cette parole, saint Paul ajoute :
« Ne méprisez pas la prophétie ». C’est-à-dire, que votre lampe soit allumée. Or, cette lumière est appelée nuit lorsqu’on la compare avec le jour ineffable; mais en face de la vie des infidèles, la vie des fidèles est bien une lumière. Nous avons déjà dit comment elle est nuit, et nous l’avons prouvé par le témoignage de saint Pierre, qui nous parte de flambeau et nous avertit d’être attentifs a ce flambeau, c’est-à-dire aux discours des Prophètes, « jusqu’à ce que le jour vienne, et que l’étoile du matin se lève dans nos coeurs ». Saint Paul nous montre aussi que la vie des fidèles est un véritable jour, si nous la comparons à la vie des impies: « Loin de nous », dit-il, « ces oeuvres des ténèbres, revêtons-nous des armes de la lumière; marchons dans la décence comme dans le jour5 ». Une vie honnête est donc le jour en comparaison de la vie des impies. Mais ce jour d’une vie fidèle ne suffit point à notre Iditum. Il veut s’élever au-delà de cette lumière, jusqu’à ce qu’il arrive à ce jour où il ne craindra plus les tentations de la nuit. Ici-bas, en effet, bien que la vie des fidèles soit une lumière, « la vie de l’homme sur la terre est une épreuve6 ». Elle est lumière et ténèbres; lumière, si nous la comparons à la vie des infidèles; ténèbres, si nous la comparons à la vie des anges. Car les anges ont une lumière que nous n’avons pas encore, et nous avons une lumière que n’ont pas les infidèles: mais les fidèles n’ont point la vie des anges, ils n’en doivent jouir que quand ils seront comme les anges de Dieu, ce qui leur est promis pour le jour de la résurrection7. Ainsi donc, en ce jour qui est nuit encore, nuit en comparaison du jour auquel nous aspirons, jour en comparaison des ténèbres de notre vie passée: dans celte nuit, dis-je, recherchons Dieu de nos mains. Que nos bonnes oeuvres ne s’arrêtent point; cherchons Dieu, et que nos désirs ne soient point stériles. Si nous sommes en voyage, faisons les dépenses pour arriver au terme. Cherchons Dieu de nos mains. Bien que ce soit pendant la nuit que nous le cherchions de nos mains, il n’y a point d’erreur, puisque nous le cherchons « en sa présence ». Qu’est-ce à dire, « en sa présence? » « Gardez-vous de faire vos bonnes oeuvres devant les hommes, afin qu’ils vous voient; autrement vous n’aurez pas de récompense de votre Père qui est dans les cieux. Lors donc que vous faites l’aumône », dit il, lorsque vos mains cherchent Dieu, « ne sonnez pas de la trompette devant vous, comme font les hypocrites; mais que votre aumône soit dans le secret; et votre Père qui voit dans le secret vous le rendra8 ». Donc « j’ai cherché de mes mains en sa présence, et je n’ai pas été déçu ».