3.
Le Prophète nous montre au verset suivant quel refuge a été pour nous le Seigneur, qui auparavant n’était point pour nous un refuge, bien qu’il existât. « Vous êtes », lui dit le Prophète, « bien avant que soient les montagnes, avant la création de la terre et du monde ; vous êtes de l’éternité à l’éternité1 » Vous donc qui êtes et avant que nous soyons et avant que le monde soit, vont êtes devenu notre refuge, depuis que nous nous sommes tournés vers vous. Toutefois, je ne crois point que l’on doive entendre d’une manière telle quelle, ce que dit le Prophète: « Avant que se dressent les montagnes, et avant que la terre soit créée », ou blet comme on lit en d’autres exemplaires: « Avant que la terre ait une figure ». Car les montagnes sont les parties les plus élevées de la terre. Et assurément, si Dieu existe avant que la terre soit créée, lui qui est le Créateur, pourquoi parler spécialement des montagnes, ou des autres parties de la terre, puisque Dieu existe non-seulement avant la terre, mais avant le ciel et la terre, et avant toute créature matérielle ou spirituelle? Mais peut-être a-t-on voulu par cette distinction mettre une différence entre les créatures raisonnables, et appeler montagnes les anges, et terre les hommes qui sont moins élevés. Aussi, bien que tout soit créé, et que les expressions formé ou fait se puissent employer indistinctement : s’il y a pourtant quelque différence entre ces deux mots, les anges auraient été faits, puisqu’ils sont classés dans les oeuvres du ciel, et que le dénombrement se termine ainsi : « Il dit, et tout fût fait : il commanda et tout fut créé2». Mais une forme fut donnée à la terre afin qu’en fût tiré le corps de l’homme. Telle est en effet l’expression dont se sert l’Ecriture: « Dieu figura ou forma l’homme du limon de la terre3». Ainsi donc, ô mon Dieu, vous êtes, et avant que tout ce qu’il y a de grand et de relevé fût fait: qu’y a-t-il en effet de plus grand qu’une créature céleste et raisonnable ? et avant que la terre fût formée, de manière qu’il y eût sur la terre quelqu’un qui pût vous connaître et vous louer ; c’est peu encore, car tout a commencé, soit dans le temps, soit avec le temps, mais « vous êtes depuis le siècle jusqu’au siècle», ou mieux, de l’éternité à l’éternité. Car Dieu n’est pas depuis le siècle, lui qui est avant tous les siècles ; ni jusqu’au siècle qui est borné, tandis que Dieu n’a pas de bornes. Mais à cause de l’ambiguïté de l’expression grecque, il arrive souvent que dans les Ecritures la traduction latine mette le siècle pour l’éternité, et l’éternité pour le siècle. Elle a raison de ne point dire: Vous avez été depuis le siècle, et vous serez jusqu’au siècle : mais elle a employé le temps présent, pour nous exprimer en Dieu une substance immuable, et dans lui il n’y a ni fut ni sera, mais seulement : est. Aussi est-il dit : « Je suis Celui qui suis » ; et: « Celui qui est, m’a envoyé vers vous4»; et encore: « Vous les changerez, et ils seront changés, mais vous êtes le même, et vos années ne passeront point5». Telle est l’éternité qui est devenue pour nous an refuge, afin que nous ayons recours à elle dans cette mobilité du temps et que nous y demeurions à jamais.