7.
« Le Dieu des vengeances, le Seigneur, le Dieu des vengeances agit dans sa liberté1». Oses-tu bien croire qu’il ne se venge point? Il se venge assurément, puisqu’il est le Dieu des vengeances. Qu’est-ce à dire le Dieu des vengeances? Le Dieu qui se venge. Ce qui soulève tes murmures, c’est qu’il ne se venge point sur les méchants. Garde-toi de murmurer, afin de n’être point de ceux dont il tire vengeance. Tel commet un larcin, et vit néanmoins, et tu murmures contre Dieu parce qu’il ne fait point mourir celui qui est voleur à ton préjudice; mais à ton tour, vois si tu n’es point voleur; et si tu ne l’es plus, vois si tu ne l’as pas été. Si tu es au jour, souviens-toi de ta nuit, et si tu es fixé au ciel, souviens-toi d’avoir été sur la terre. Tu trouveras peut-être qu’un jour tu fus voleur, et qu’un autre s’en prit à Dieu de ce que tu survivais à ton vol, et de ce qu’il ne te faisait point mourir. Mais de même que dans ta faute le Seigneur t’a épargné, t’a laissé vivre afin qu’à l’avenir tu ne fusses plus voleur; ne cherche point après ton passage à détruire le pont de la divine miséricorde. Ne sais-tu pas que beaucoup doivent passer par où tu as passé toi-même? Existerais-tu maintenant pour murmurer, s’il eût écouté ceux qui murmuraient jadis contre toi ? Et néanmoins tu veux que Dieu se venge des méchants, qu’il punisse un voleur ; et tu murmures contre Dieu, parce que ce voleur n’est point mis à mort. Pèse dans la balance de l’équité le vol et le blasphème; tu n’es pas voleur, dis-tu, mais tes murmures contre Dieu te rendent blasphémateur. Tel profite du sommeil des autres pour commettre le vol; et toi tu accuses Dieu de dormir et de ne pas voir les hommes. Si donc tu veux que la main du voleur se redresse, commence par redresser ta langue: tu veux que celui-là cesse d’être injuste envers les hommes, cesse de l’être envers Dieu, de peur que cette vengeance divine que tu appelles ne tombe d’abord sur toi. Dieu viendra, en effet, il viendra et jugera tous ceux qui persévèrent dans l’injustice, qui auront été peu reconnaissants de ses grâces, qui auront méprisé sa patience, qui auront amassé un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres2, car ce le Seigneur est le « Dieu des vengeances, et le Dieu des vengeances agira en toute confiance ». Il n’épargnait personne quand il parlait ici-bas; car, si le Seigneur vivait dans l’infirniité de la chair, il avait néanmoins la force de la parole. Il n’eut aucun égard pour les princes des Juifs. Que ne dit-il point contre eux, et comme l’a dit le Prophète, avec une pleine assurance? Car c’est de lui qu’il est dit dans le psaume : « A cause de la misère des pauvres et des gémissements des misérables, je me lèverai, dit le Seigneur3». Quels sont ces pauvres? ces indigents? Ceux qui n’ont d’espoir qu’en lui, qui seul ne trompe point. Voyez, mes frères, qu’ils sont pauvres et indigents. Car ces pauvres, dont l’Ecriture parle avec éloge, ne paraissent point être ces pauvres qui n’ont rien. On voit quelquefois un pauvre qui, recevant une injure, a recours aussitôt à son patron chez qui il demeure, dont il est le locataire, le fermier, le client; il affirme hautement qu’on le traite avec injustice, parce qu’il appartient à un tel homme. Il a mis son coeur dans cet homme, son espérance dans cet homme, sa cendre dans cette cendre. D’autres sont riches des biens du monde et jouissent des honneurs mondains, et pourtant ne mettent point leur espérance dans cet argent, ni dans leurs terres, ni dans leurs enfants, ni dans l’éclat d’une dignité passagère; mais ils fondent leur espérance dans celui à qui nul ne succède, qui ne peut mourir, non plus que se tromper ou tromper ceux-ci, bien qu’ils paraissent avoir de grands biens aux yeux du monde, sont néanmoins au nombre des pauvres de Dieu, parce qu’ils dispensent leurs biens avec sagesse et pour les besoins des pauvres. Ils comprennent les dangers qui les environnent en cette vie, ils s’y trouvent étrangers: ils se conduisent au milieu de leurs grands biens comme le voyageur qui passe par une hôtellerie, mais sans y rien posséder. Que fera donc le Seigneur? « A cause de la misère des pauvres, et des gémissements, des misérables, je me lèverai, dit le Seigneur. Je les mettrai dans le salut ». Or, le salut du Seigneur, C’est notre Sauveur. C’est en lui que le Prophète a voulu placer l’espérance du pauvre et du misérable. Et que dit-il? « J’agirai en lui avec confiance4 ». Qu’est-ce à dire, «j’agirai avec confiance ? » Il ne craindra point, il n’épargnera point les vices des hommes, ni leurs convoitises. C’est donc un médecin fidèle, muni du fer salutaire de sa parole, et qui a tranché dans nos plaies. Ainsi les Prophètes l’avaient annoncé d’avance, ainsi les hommes l’ont vu. Il prêchait sur la montagne, quand il dit: « Bienheureux les pauvres de gré, parce que le royaume des cieux leur appartient». Il déclare même « bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice », et dans le même discours il ajoute que « le royaume des cieux leur appartient ». Et pour les faire briller comme des astres, c’est-à-dire pour les rendre patients dans toutes ces persécutions passagères, il leur dit : « Vous serez heureux quand ils vous persécuteront, quand ils diront toute sorte de mal contre vous ; réjouissez-vous alors et tressaillez, parce que votre récompense est grande dans les cieux5 ». Dans la suite de ce discours, bien qu’environné de la foule, il tient à ses disciples qu’il instruit un langage qui frappait en face les Pharisiens et les Juifs, lesquels étaient en quelque sorte les maîtres dans l’exposition des saintes Ecritures, croyaient être justes et passer pour tels, et enfin voyaient le peuple soumis à leur autorité, il ne les épargne pas, et s’écrie : « Quand vous priez, ne soyez point comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et dans les coins des rues, afin d’être vus par les hommes6 » ; et d’autres enseignements semblables. Il les attaqua tous, sans redouter personne. Et après ce discours, voici la conclusion qu’en tire l’Historien évangélique:
« Il arriva que Jésus ayant terminé son discours, la foule était dans l’admiration au sujet de sa doctrine. Car il enseignait comme un homme qui a l’autorité, et non à la manière des Scribes et des Pharisiens7». Combien de fois donc Celui dont il est dit: « Il leur enseignait comme un homme qui a l’autorité », combien de fois leur dit-il: « Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites8 ! » Combien de fois leur parla-t-il ainsi et en face ! Il ne redouta personne. Pourquoi ? Parce qu’il est le Dieu des vengeances.
Il ne les épargnait point en paroles, afin de pouvoir un jour les épargner au jugement refuser en effet cette médecine amère de la parole, c’était encourir la condamnation du jugement à venir, Pourquoi? Parce que « le Seigneur est le Dieu des vengeances, et que le Dieu des vengeances agit avec liberté», c’est-à-dire n’épargne personne. Or, celui dont les paroles ne ménagent personne, quand il vient pour souffrir, ménagera-t-il quand il viendra pour juger? Lui qui ne redoute personne quand il vient dans son humilité, redoutera-t-il quand il viendra dans sa gloire? Ce qu’il a fait avec tant de confiance te donne à juger de ce qu’il fera à la fin des temps. Garde-toi donc de, murmurer contre Dieu, qui semble épargner les méchants ; mais sois de ces bons qu’il n’épargne pas dans cette vie peut-être, afin de les épargner au jugement. « Le Dieu des vengeances est le Seigneur, le Dieu des vengeances agit avec liberté ».