13.
Qu’elle est juste, mes frères, qu’elle est admirable cette parole de l’Evangile, émanée de la bouche de Notre-Seigneur: « Deux hommes seront dans un champ, l’un sera pris, l’autre sera laissé: deux femmes seront à moudre, l’une sera prise, l’autre sera laissée; deux dans un lit, on prendra l’un, on laissera l’autre1 ». Qui, ces « deux dans un champ?» Ceux dont saint Paul a dit: « J’ai planté, Apollo a arrosé, Dieu a donné l’accroissement. Vous êtes le champ du Seigneur ». Nous travaillons dans ce champ. « Deux sont dans ton champ », ce sont les clercs: « l’un sera pris, l’autre laissé2»; On prendra le bon, on laissera le mauvais.
« Deux seront à moudre », dit le Sauveur, en revenant au peuple. Pourquoi à « la meule?» Parce que les liens du siècle les tiennent attachés au cercle des choses temporelles. « L’un de ces esclaves sera choisi, l’autre dédaigné ». Lequel sera choisi? Celui qui fait des bonnes oeuvres, qui prend en pitié l’indigence des serviteurs de Dieu, qui est fidèle à confesser Dieu, qui met sa joie dans une espérance certaine, qui est attentif à Dieu, qui ne veut de mal à personne, qui aime autant qu’il peut, non-seulement ses amis, mais encore ses ennemis, l’homme qui ne connaît d’autre femme que la sienne, l’épouse qui ne connaît que son époux, voilà celui que l’on prendra à la meule; on laissera quiconque vit d’une autre manière. D’autres vous disent : Nous voulons le repos, t’avoir à souffrir de personne, nous retirer de la foule, vivre en paix dans quelque lieu retiré. Chercher le repos, c’est chercher un lit, où l’on fait trève à toute inquiétude. Mais là encore « on prendra l’un, et on laissera l’autre ». Ne vous laissez point illusionner, mes frères; si vous ne voulez vous tromper, si vous aimez vos frères, sachez que dans l’Eglise toute profession a ses faux frères. Je ne dis point que tout homme soit faux, mais il y a des faux dans toute profession: il y a de mauvais chrétiens, mais il y a aussi de bons chrétiens. Tu ne vois en quelque sorte que des mauvais, qui sont comme la paille, et qui ne te laissent pas approcher du bon grain3; mais il y a aussi du bon grain, approche, vois, secoue, juges-en par ta bouche. Tu trouveras des vierges déréglées; faut-il pour cela blâmer la virginité ? Il en est beaucoup qui ne s’enferment point dans leurs maisons, qui courent les maisons des autres, qui sont curieuses, parlent sans discrétion, orgueilleuses, causeuses4, s’adonnent au vin: bien qu’elles soient vierges, qu’est-ce que cette pureté du corps avec une âme corrompue? Le mariage, dans l’humilité, est préférable à une virginité orgueilleuse; le mariage lui donnerait un frein pour la retenir et lui enlèverait ce nom qui l’enorgueillit. Mais pour des vierges indignes, faut-il condamner celles dont la chair est pure et l’âme sainte5? ou pour celles qui sont louables, faudra-t-il doue louer celles qui sont condamnables? Partout on prendra l’un, on laissera l’autre.