7.
Mais ce cri du Prophète: « Bien long est mon exil ici-bas », c’est surtout le cri de l’Eglise qui souffre sur cette terre; c’est le cri de celle qui dans un autre psaume dit à Dieu:
« Des confins de la terre j’ai crié vers vous1 ». Qui de nous pousse des cris des confins de la terre ? Ce n’est ni celui-ci, ni toi, ni moi mais c’est l’Eglise entière, c’est l’héritage entier du Christ qui crie vers Dieu des confins de la terre, car l’Eglise est l’héritage du Christ, et c’est de l’Eglise qu’il est dit : « Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et les confins de la terre pour ton empire ». L’héritage du Christ embrasse les confins de la terre, et l’héritage du Christ embrasse tous les saints, et tous les saints ne forment qu’un seul homme en Jésus. Christ, puisque c’est dans Jésus-Christ que se trouve l’unité; et cet homme unique s’écrie « Des confins de la terre j’ai crié vers vous, quand mon coeur était dans l’angoisse2 ». Cet homme donc trouve son exil bien long parmi les méchants. Et comme si on lui demandait : Chez quels hommes demeurez-vous, pour gémir de la sorte? « Mon pèlerinage est bien long », répond-il. Mais, direz-vous, s’il est avec des bons ? S’il était avec les bons, il ne dirait point: Malheur à moi ! Ce mot « hélas »,ou «malheur», désigne l’affliction, la misère ; et néanmoins il n’est point sans espérance dès lors qu’il a appris à gémir.
Beaucoup sont malheureux, et sans gémir ils sont en exil refusant de retourner. Mais, dans son impatience de retourner, notre interlocuteur comprend le malheur de son exil ; et parce qu’il l’a senti, il revient; il commence à monter, parce qu’il commence à chanter le cantique des degrés. Où donc gémit-il, au milieu de quoi demeure-t-il ? Il demeure dans les tentes de Cédar, Mais peut. être ne comprenez-vous point cette expression, qui vient de l’hébreu. Que signifie: «J’ai habité parmi les tentes de Cédar? » Le mot Cédar, autant que je me souvienne des étymologies hébraïques, signifie « ténèbres ». On dit tenebrae, en traduisant Cédar en latin. Or, vous connaissez les deux fils d’Abraham, dont nous entretient saint Paul, en nous disant qu’ils sont la figure des deux Testaments : l’un était né de la servante, et l’autre de l’épouse libre. De la servante était né Ismaël3, de Sara ou de la femme libre était né Isaac, conçu par la foi contre toute espérance. Tous deux étaient issus d’Abraham, sans être néanmoins héritiers tous deux. L’un est fils, mais non héritier d’Abraham ; l’autre fut héritier; non-seulement fils, mais héritier encore. En Ismaël sont tous ces hommes qui n’ont pour Dieu qu’un culte charnel, et ils appartiennent à l’Ancien Testament, d’après ce mot de saint Paul : « Vous qui voulez être « sous la loi, n’entendez-vous point la loi ? Il est écrit, en effet, qu’Abraham eut deux fils, l’un de l’esclave, et l’autre de la femme libre, c’est là une allégorie, car ce sont les deux alliances4 ». Quelles sont ces deux alliances? L’ancienne et la nouvelle. L’ancienne alliance vient de Dieu, comme la nouvelle vient de Dieu, de même que d’Abraham étaient issus Ismaël et Isaac. Mais Ismaël appartenait au royaume terrestre, et Isaac au royaume céleste. De là vient que l’Ancien Testament a des promesses terrestres, une Jérusalem de la terre, une Palestine de la terre, un royaume de la terre, un salut de la terre, ou la victoire sur les ennemis, des familles nombreuses, des récoltes abondantes. Mais tout cela tient aux promesses terrestres, qui étaient néanmoins la figure des promesses spirituelles; la Jérusalem de la terre figurait la Jérusalem du ciel, et le royaume terrestre figurait le royaume céleste. Ismaël était l’ombre, et Isaac la lumière. Mais si Ismaël était l’ombre, rien d’étonnant qu’il y eût là des ténèbres, puisque les ténèbres ne sont que l’ombre devenue plus épaisse. Ismaël était donc dans les ténèbres, et Isaac dans la lumière. Tous ceux qui, aujourd’hui dans l’Eglise, ne savent demander à Dieu qu’une félicité temporelle, appartiennent à Ismaël . Ce sont eux qui s’opposent par leurs contradictions aux hommes spirituels qui s’avancent dans la vertu, qui en médisent, qui ont des lèvres iniques, des langues menteuses. C’est à l’encontre de tous ces. contradicteurs que celui qui s’avance implore le secours de Dieu, et on lui a donné des charbons désolants, et les flèches perçantes du fort. Il vit au milieu d’eux jusqu’à ce que le van ait passé dans l’aire, et alors il s’écrie : « J’ai habité sous les tentes de Cédar ». Car, on appelle tentes de Cédar, les tentes d’Ismaël. C’est ainsi qu’on lit dans la Genèse que Cédar appartient à Ismaël5. Isaac est donc avec Ismaël; c’est-à-dire que ceux qui appartiennent à Isaac vivent au milieu de ceux qui appartiennent à Ismaël. Les uns veulent s’élever, et les autres s’efforcent de les abaisser. Nous lisons en effet dans saint Paul: « Et comme alors celui qui était né u selon la chair persécutait celui qui était né « selon l’Esprit, il en est encore de même aujourd’hui: l’homme spirituel est persécuté par l’homme charnel». Mais que dit l’Ecriture? « Chassez l’esclave et son fils, car le fils de l’esclave ne sera point héritier avec le fils de la femme libre, avec mon fils Isaac6 ». Or, ce mot, chassez, quand sera-t-il exécuté? Quand le van passera dans l’aire. Nais maintenant, avant qu’il soit chassé, « malheur à moi, parce que mon exil est prolongé! c’est parmi les lentes de Cédar que je suis contraint d’habiter ». Le Prophète nous montre ensuite ceux qui appartiennent à Cédar.