6.
Le Prophète nous dit aussi pourquoi nos yeux sont fixés sur le Seigneur, comme les yeux du serviteur sur les mains de son maître, et de la servante sur les mains de la maîtresse; et comme si on lui demandait pourquoi? « Jusqu’à ce qu’il nous prenne en pitié », répond-il. Quels sont, mes frères, les serviteurs que nous devons comprendre ici, qui ont les yeux sur les mains de leurs maîtres; et quelles servantes ont les yeux sur les mains de leur maîtresse, jusqu’à ce que cette maîtresse les prenne en pitié? Quels sont donc ces serviteurs et ces servantes qui ont ainsi les yeux sur les mains de leurs maîtres, sinon ceux qui sont condamnés au châtiment? « Nos yeux sont tournés vers le Seigneur, jusqu’à ce qu’il nous prenne en pitié ». Comment cela? Comme les yeux de l’esclave sur les mains de son maître, et comme les yeux de la servante sur la main de sa maîtresse. Donc les uns et les autres les tiennent fixés, jusqu’à ce que le maître ou la servante les prenne en pitié. Supposons un maître qui fait fouetter un esclave; on frappe ce malheureux qui gémit sous les coups, et tend les yeux fixés sur les mains du maître, jusqu’à ce qu’il dise : C’est assez. Car la main ici a le sens de pouvoir. Que disons nous donc, mes frères? Nous sommes condamnés au châtiment par le Seigneur notre maître, par la sagesse de Dieu, notre maîtresse; et nous sommes frappés en cette vie, et toute cette vie mortelle n’est pour nous qu’une longue plaie. Ecoute la voix du psaume : « Vous instruisez l’homme par le châtiment, à cause de son iniquité, et vous faites sécher mon âme comme l’araignée1 ». Voyez, mes frères, combien est faible une araignée; le moindre choc la brise et lui donne la mort. Et de peur que nous n’en venions à croire que cette mortelle faiblesse n’atteint que notre chair, le Prophète ne dit point: Vous m’avez desséché, de peur qu’on n’appliquât cette expression à la chair, mais: Vous avez desséché mon âme comme l’araignée. Rien de plus faible, en effet, que notre âme au milieu des tentations du monde, au milieu des gémissements, et comme des douleurs de l’enfantement; rien de plus faible qu’elle, jusqu’à ce qu’elle s’attache fortement à la solidité du ciel, qu’elle soit dans le temple de Dieu, d’où elle ne puisse tomber; car, avant d’arriver à cette faiblesse et à cette langueur, elle est devenue infirme comme l’araignée, et a été chassée du paradis. Alors l’esclave a été condamné au fouet. Voyez, mes frères, depuis quel temps nous souffrons. Adam souffre, et dans tous ceux qui sont nés à l’origine du genre humain, et dans tous ceux qui vivent aujourd’hui, et dans tous ceux qui nous suivront. Adam, ou le genre humain, est châtié, et beaucoup sont endurcis au point de ne pas sentir leurs plaies. Mais ceux do la race humaine, qui sont devenus enfants de Dieu, ont recouvré le sentiment de la douleur; ils sentent qu’on les frappe, ils savent qui les fait frapper; ils lèvent les yeux vers lui, qui habite les cieux; ils fixent les yeux sur les mains du Seigneur, jusqu’à ce qu’il les prenne en pitié, comme Les serviteurs sur les mains de leurs maîtres, comme la servante sur les mains de sa maîtresse. Vous voyez en ce monde quelques heureux qui rient et s’applaudissent; ils ne sont point frappés, ou plutôt, ils sont châtiés plus sévèrement, et d’autant plus sévèrement qu’ils le sentent moins. Qu’ils s’éveillent, et soient frappés, qu’ils sentent qu’on les frappe, qu’ils le sachent, et qu’ils se plaignent d’être frappés. « Car, celui qui multiplie la science, multiplie la douleur2», a dit l’Ecriture. De là cette parole du Seigneur dans l’Evangile: « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés3 ».