8.
Voyons donc ce que demande le Prophète, ce qui lui fait dire avec raison : « Hâtez-vous de m’exaucer ». Que demandez-vous, ô Prophète, pour que Dieu vous exauce promptement ? « Vous me multiplierez ». Cette multiplication peut s’entendre en bien des sens. Il y a multiplication dans la génération terrestre, selon cette première bénédiction donnée à notre nature, et que nous avons entendue : « Croissez et multipliez, emplissez la terre, et soumettez-la1». Est-ce bien cette multiplication que voulait David quand il disait: «Hâtez-vous de m’exaucer? » Il est vrai que cette multiplication a son avantage, et ne vient que de la bénédiction du Seigneur. Que dirai-je des autres sens de multiplier ? Chez l’un, c’est l’or qui se multiplie; chez l’autre, c’est l’argent; ici c’est le bétail, et là c’est la famille; celui-ci voit ses terres se multiplier, celui-là tous ces biens à la fois. Il est plusieurs manières de se multiplier sur la terre; la plus heureuse est de voir ses enfants se multiplier : et toutefois, pour l’homme avare, cette fécondité même devient incommode; il redoute la pauvreté pour ceux qui naissent en grand nombre. Cette sollicitude en a poussé beaucoup à l’impiété: oubliant qu’ils étaient pères, ils se sont dépouillés de tout sentiment d’humanité, jusqu’à exposer leurs enfants, et en faire des étrangers; une mère rejette son fils que recueille celle qui n’est pas mère, l’une affectant le mépris, l’autre l’amour; l’une vainement mère selon la chair, l’autre plus véritablement mère par la charité. Si donc il y a tant de multiplications, tant de manières de multiplier, quelle est cette multiplication qui fait dire au Prophète : « Hâtez-vous de m’exaucer ? — Vous « me multiplierez » ,dit-il. Nous sommes impatients de savoir en quoi. Ecoutons alors: « Dans mon âme », dit-il. Non pas dans ma chair, mais dans mon âme: « c’est dans l’âme que je serai multiplié ». Peut-on rien ajouter, et la multiplication à l’égard de l’âme serait-elle bien un bonheur sans retard? C’est dans l’âme, en effet, que les soins se multiplient pour l’homme, et l’on pourrait le croire encore multiplié dans son âme quand les vices y sont nombreux, Celui-ci n’est qu’avare, celui-là qu’orgueilleux, cet autre que libertin ; mais tel autre est tout à la fois avare, et orgueilleux, et libertin; il y a donc multiplication dans son âme, et pour son malheur. Cette multiplication est plutôt la pauvreté que l’abondance. Vous donc, ô saint Prophète, qui avez dit : « Hâtez-vous de me secourir », qui éloignez de vous tout ce qui est charnel, tout ce qui est terrestre, tout désir mondain, que voulez-vous dire à Dieu «Vous me multiplierez dans mon âme ? » Expliquez-nous votre désir. « Vous me multiplierez dans mon âme », dit-il, « par la vertu». Voilà clairement ce qu’il souhaite, voilà son désir sans aucune confusion. S’il disait simplement: « Vous me multiplierez », on pourrait s’arrêter à quelque chose de terrestre; il ajoute « dans mon âme » ; et, pour éloigner toute pensée du vice dans l’âme, il ajoute encore, « par la vertu ». Vous n’avez plus rien à désirer, si vous voulez dire à Dieu avec une sainte franchise : « Hâtez-vous de me secourir ».
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Gen. I, 28 ↩