4.
Dès lors que notre psaume chante cette vie future dont il noué entretient, et que l’Evangile nous effraie au sujet de celle-ci, le psaume nous fait aimer l’avenir et l’Evangile haïr le présent. Le Nouveau Testament ne garde point le silence au sujet du bonheur à venir, et nous en parle d’autant mieux qu’il nous expose sans voile ce que nous devons comprendre; mais il nous en parle clairement, afin de nous faire comprendre ce qui est dit ici en figures. L’Evangile donc nous disait :
Prenez garde au dernier jour qui viendra, au jour de l’avènement du Fils de l’Homme1 : parce qu’il surprendra dans leur malheur ceux qui sont aujourd’hui en sécurité, et précisément parce que c’est là une fausse sécurité , puisqu’ils se croient en sécurité dans les voluptés du siècle, tandis que leur sécurité devrait naître du silence de leurs convoitises du siècle. C’est à cette vie que nous prépare l’Apôtre dans ces paroles que j’ai citées alors : « Du reste, mes frères, le temps est court, il reste donc à ceux qui ont des femmes d’être comme s’ils n’en avaient point; à ceux qui achètent, comme s’ils n’achetaient point; à ceux qui se réjouissent, comme s’ils ne se réjouissaient point; à ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient point; à ceux qui usent des choses de ce monde, comme s’ils n’en usaient point; car la figure du monde passe, et je désire que vous soyez sans inquiétudes2». Quiconque a mis toute sa joie, toute sa félicité à manger, à boire, à se marier, à acheter, à vendre, à jouir du monde, est aussi sans inquiétude; mais, comme tel, il est hors de l’arche, et malheur à lui, à cause du déluge. Quant à l’homme, qui mange, qui boit, qui fait toutes ses actions pour la gloire de Dieu3, s’il est triste pour quelque sujet du temps, il pleure, mais conserve au dedans la joie de l’espérance; si les affaires du temps lui causent de la joie, il se réjouit, mais son coeur nourrit une crainte spirituelle, en sorte qu’il ne se laisse ni corrompre par la prospérité ni abattre par le malheur. C’est là, en effet, pleurer comme si l’on ne pleurait point, et se réjouir comme si l’on ne se réjouissait point. Quiconque a une femme, et, par compassion pour sa faiblesse, rend le devoir sans l’exiger, ou ne cherche dans le mariage qu’un remède à sa propre faiblesse, et pleure de n’avoir pu se passer d’une femme, plutôt qu’il ne met en elle sa complaisance; quiconque vend son bien, parce qu’il sait que ce bien, même en lui demeurant, ne le rendrait pas heureux; quiconque achète et sait bien que cela passera, qui ne met point sa confiance dans ses biens, quelle qu’en soit l’abondance, et même la surabondance, qui du bien qu’il a, fait l’aumône à ,celui qui n’a pas, afin de recevoir ce qu’il n’a pas de celui à qui tout appartient; quiconque en est là peut attendre avec sécurité le dernier jour, parce qu’il n’est point hors de l’arche; mais il fait partie de ces bois incorruptibles dont l’arche est construite4. Qu’il ne craigne donc point l’avènement du Sauveur, mais plutôt qu’il l’espère et le désire; car il ne viendra point pour lui infliger un châtiment , mais pour mettre fin à ses misères. Or, tout cela se fait par le désir que nous avons de cette cité sainte. Les avertissements de l’Evangile se réalisent dès lors dans nos soupirs vers cette Jérusalem que chante notre psaume, et de là vient l’accord de l’Evangile avec ce chant du Prophète.