11.
« Quoique l’homme passe dans l’image1 ». Dans quelle image, sinon de celui qui a dit: « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance2 ? » « Quoique l’homme passe dans l’image ». Il dit ici « quoique», parce que cette image est quelque chose de grand. Et après ce « quoique » vient un « cependant »; et de la sorte « quoique » marquera ce qui est au-delà du soleil, et « cependant » désignera ce qui est sous le soleil ; l’un a rapport à la vérité, l’autre à la vanité. « Quoique l’homme passe dans l’image, toutefois un rien le trouble ». Ecoute son trouble et vois si ce n’est pas une futilité, afin de la fouler aux pieds, de la laisser en arrière, et de te réfugier dans les cieux, où il n’y a plus de vanité. Quelle est cette vanité? « L’homme amasse des trésors et ne sait pour qui ». O folie de la vanité ! «Bienheureux celui qui a mis son espérance dans son Dieu, qui ne s’est point arrêté aux vanités et aux folies du mensonge3 ». O avare, tu prends mes paroles pour du délire; mon langage à tes yeux ressemble aux contes de vieilles femmes. Car toi, dans les profondeurs de ton esprit, dans ta rare prudence, tu imagines chaque jour des moyens d’acquérir de l’argent par le négoce, par l’agriculture, souvent peut-être par l’éloquence, par la jurisprudence, par la milice, et même par l’usure. En homme judicieux, tu n’omets rien, absolument rien, pour entasser argent sur argent et Je resserrer avec soin dans l’ombre. Tu sais voler un homme et éviter le voleur; tu crains pour toi ce que tu fais aux autres, et ce que l’on te fait ne te corrige pas. Mais on ne te fait rien, j’y consens; tu es un homme prudent; non-seulement tu sais amasser, mais tu sais conserver : tu sais où il faut placer, à qui tu dois prêter, afin de ne rien perdre de ce que tu as amassé. J’interroge donc ton coeur, je fais appel à ta prudence:
voilà que tu as amassé, et que tu as si bien conservé que tu n’as rien perdu; mais, dis-moi, pour qui conserves-tu? Je ne veux point discuter avec toi, je ne rappelle rien, je n’exagère aucunement le mal que peut causer la vanité de ton avarice; je n’en propose qu’un seul, je ne discuterai que ce point, dont la lecture du Psaume nous offre l’occasion. Tu amasses donc, tu thésaurises; je ne te dirai point:
Lorsque tu amasses, ne peut-on pas ramasser à tes dépens? Je ne dirai point: Quand tu veux ravir ta proie, n’es-tu pas la proie d’un autre? Je parlerai plus clairement; car, aveuglé par ton avarice, tu n’as ni entendu ni compris; je ne dirai donc pas: Prends garde qu’en faisant ta proie d’un plus faible, tu ne deviennes la proie d’un plus fort. Car tu ne sais pas que tu es dans la mer, et tu ne vois pas que les gros poissons dévorent les plus petits. Je passe donc tout cela sous silence ; je ne parle point des difficultés, des dangers que l’on rencontre en amassant de l’argent, de ce que souffrent ceux qui amassent, des périls qui les environnent, de la mort qui les menace presque partout, je passe tout cela sous silence. Tu amasses donc sans aucune résistance, tu conserves, sans qu’on te prenne rien: réveille ton coeur et cette rare prudence qui me tourne en dérision, qui ne voit que folie dans mes paroles; et dis-moi: Tu thésaurises, et pour qui ces richesses? Je vois bien ce que tu voudrais me répondre, comme si la réponse que tu veux me faire avait échappé au Psalmiste; tu me diras : Je conserve pour mes enfants. C’est la réponse du dévouement qui sert d’excuse à l’iniquité : je conserve, dis-tu, pour mes enfants. Oui, c’est pour tes enfants ; mais Idithun l’ignorait-il? Il le savait fort bien, mais il comptait cela parmi les jours anciens, et n’y opposait que le mépris, parce qu’il courait vers les jours nouveaux.