CHAPITRE XXII.
LES SIX ÉPOQUES DE L’HISTOIRE DU MONDE. — DE L’ESPRIT DU NOUVEAU TESTAMENT. — NAISSANCE, VIE ET MORT DE JÉSUS-CHRIST.
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Voici donc les cinq premiers âges du monde : le premier s’étend d’Adam, le père du genre humain, jusqu’à Noé et à la construction de l’arche1; le second s’étend de Noé à Abraham, le père de toutes les nations qui devaient imiter sa foi2: c’est du sang d’Abraham que devait sortir la race juive, la seule qui, parmi tous les peuples du monde, avant la diffusion de la foi chrétienne, ait adoré l’unique et véritable Dieu, et de qui devait naître selon la chair le Messie Sauveur. Ces deux premières époques sont mises en relief dans l’Ancien Testament; quant aux trois autres, l’Evangile même les distingue dans la généalogie de Notre-Seigneur3. Le troisième âge s’étend depuis Abraham jusqu’au roi David; le quatrième, depuis David jusqu’à la captivité qui transporta le peuple de Dieu à Babylone; le cinquième, depuis la transmigration de Babylone jusqu’à l’avènement de Jésus-Christ; le sixième commence avec Jésus-Christ. C’est dans ce dernier âge que la grâce toute spirituelle, connue jusque-là d’un petit nombre de prophètes et de patriarches, devait être révélée à toutes les nations, que les hommages rendus à Dieu devaient être désintéressés; en d’autres termes, n’avoir plus pour but la récompense matérielle d’un culte mercenaire et les prospérités de la vie présente, mais la vie éternelle et la possession de Dieu; enfin, c’est dans ce sixième âge que l’âme humaine devait être renouvelée à l’image de Dieu, de même qu’au sixième jour l’homme avait été fait à son image4. Car la loi est remplie, quand ce n’est plus par passion pour les biens temporels, mais par amour pour le législateur, qu’on exécute tout ce qu’elle commande. Et comment ne pas payer de retour le Dieu si juste et si miséricordieux qui a le premier aimé les hommes, malgré leur injustice et leur orgueil, au point de leur envoyer son Fils unique, par qui il avait tout créé? Et ce Fils n’a-t-il pas, sans changer de nature, adopté l’humanité, revêtu la chair, et consenti, non-seulement à vivre avec les hommes, mais encore à être immolé par eux et pour eux?
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En promulguant le Nouveau Testament, titre d’un éternel héritage, Jésus-Christ renouvelait l’homme et lui enseignait à vivre, avec le secours de la grâce, de la vie nouvelle de l’esprit; du même coup il déclarait suranné l’Ancien Testament, sous la loi duquel un peuple grossier, animé des instincts du vieil homme, à l’exception des patriarches, des prophètes ou des saints inconnus qui comprenaient en petit nombre le sens caché de l’Ecriture, ne connaissait que la vie des sens, n’attendait du Seigneur que des récompenses matérielles, et les recevait en figure des biens spirituels. Jésus-Christ fait homme a donc méprisé tous les biens d’ici-bas, afin de nous apprendre le mépris que nous en devions faire, et s’est chargé des maux qu’il nous engageait à supporter; par là il nous a montré qu’il ne fallait ni mettre le bonheur dans les uns, ni craindre les autres comme une cause de malheur. Né d’une Mère qui, quoique conservant toute sa vie la fleur de son intégrité, Vierge quand elle conçoit, Vierge quand elle enfante, Vierge quand elle meurt, ne laissait pas d’être la fiancée d’un charpentier, il a sans retour anéanti l’orgueil attaché à la noblesse du sang. Né à Bethléem, la plus petite des villes de Juda, et si faible qu’aujourd’hui même on l’appelle un hameau, il nous a appris à ne plus tirer vanité de notre cité terrestre, quelle qu’en soit la grandeur. Il a même voulu devenir pauvre, lui qui possède tout et qui a tout créé, afin d’empêcher ceux qui croiraient en lui de s’enorgueillir des richesses d’ici-bas. Il a refusé la royauté que lui offraient les hommes, quoique la création entière publie sa royauté éternelle, parce qu’il montrait le chemin de l’humilité aux malheureux que l’orgueil avait séparés de lui. Il donne à tous les êtres les aliments et le breuvage; il est le pain des esprits et la source où ils viennent se désaltérer. Et cependant, il s’est condamné à la faim comme à la soif. Il a supporté les fatigues du voyage, et c’est lui qui s’est fait notre voie pour nous conduire au ciel; il s’est tu, il a semblé fermer les oreilles devant ceux qui l’outrageaient, et c’est lui qui a rendu l’ouïe aux sourds et la parole aux muets; il a brisé les entraves du péché, et il s’est laissé enchaîner; il a soustrait les malades aux aiguillons de la douleur, et il a été flagellé; il a fini nos tourments, et il a enduré celui de la croix; enfin il a ressuscité les morts, et il a voulu mourir. Mais il est ressuscité pour ne [82] plus mourir, afin d’empêcher l’homme de mépriser la mort en s’imaginant qu’il ne saurait plus revivre.