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Ainsi, nous mettons notre confiance uniquement dans le Dieu vivant et véritable. Il est le bien suprême et immuable, il ne peut être l'auteur ni souffrir d'aucun mal. C'est de lui que découle tout bien créé; ce bien, hélas! peut changer, mais celui qui constitue la nature divine est immuable. Maintenant, entendons l'Apôtre nous dire : « Marchez selon les lumières de l'esprit et n'écoutez point la concupiscence de la chair; car la chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair, ils sont opposés l'un à l'autre, de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez1 » . Or, en lisant ces paroles, loin de nous la pensée de conclure follement avec les Manichéens qu'il s'agit ici de deux natures distinctes, opposées l'une à l'autre par des principes contraires, l'une bonne et l'autre mauvaise. J'affirme au contraire que chacune d'elles est bonne; l'esprit est bon, la chair aussi. De son côté, l'homme formé de ces deux natures peut-il ne pas être bon, quand surtout l'une des deux doit rester maîtresse et l'autre obéir? Le bien qu'il possède est, il est vrai, susceptible de changement; mais dès lors qu'il existe, il ne peut venir que du bien immuable, duquel découle tout bien créé , à quelque degré qu'on le suppose. Est-il petit? il a dû alors découler d'un plus grand; et si grand qu'il puisse être, il ne pourra encore supporter la comparaison avec l'infinie grandeur de Celui qui l'a créé. Mais, au sein de cette nature de l'homme, nature bonne et qui est sortie telle des mains du Créateur, la lutte s'est élevée, car nous sommes encore dans le lieu du combat. Guérissez les langueurs et vous aurez la paix. Cette langueur, c'est le fruit de la faute; par elle-même la nature ne la connaissait pas. Cette faute, Dieu l'a effacée pour les fidèles, par sa grâce, dans le bain de la régénération; mais il n'a pas guéri la langueur; aussi le combat dure-t-il toujours entre elle et la nature. Dans ce combat la guérison sera la victoire parfaite; guérison non plus temporaire, mais éternelle; non plus partielle, mais absolue.
C'est dans cette espérance que le juste s'adressant à son âme lui dit en toute sincérité : « O mon âme, bénis le Seigneur et n'oublie point ses bienfaits, car il se montre propice à tes iniquités, il guérit toutes tes langueurs2». Il se montre propice à nos iniquités, en pardonnant nos péchés ; il guérit nos langueurs, en réprimant nos désirs coupables. Il est propice à nos iniquités, en nous faisant indulgence; en nous accordant la continence, il guérit nos langueurs. L'une de ces faveurs s'accorde dans la profession du baptême, l'autre dans l'ardeur du combat; c'est alors qu'appuyés sur le puissant secours de Dieu, nous triomphons de nos infirmités. L'une se réalise quand Dieu daigne exaucer cette prière : « Pardonnez-nous nos offenses» ; l'autre, quand il écoute ce cri de notre coeur « Ne nous laissez point succomber à la tentation3 ». En effet, dit l'apôtre saint Jacques, « chacun de nous est tenté par sa propre concupiscence, attiré et entraîné4 ». Contre ce vice nous demandons le secours et le remède à Celui qui. peut seul guérir toutes ces langueurs, non pas en nous dépouillant d'une nature étrangère, mais en réparant la nôtre propre. Aussi l'Apôtre ne se contente pas de dire : «Chacun est tenté parla concupiscence », il ajoute : « par sa propre concupiscence ». Or, en lisant ces paroles, comment ne pas s'écrier : « J'ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme parce que j'ai péché contre vous5 ? » Cette âme, en effet, n'aurait pas eu besoin de guérison si elle ne se fût pas elle-même souillée par le péché. Et elle s'est souillée en se laissant dominer par le péché, c'est-à-dire en accédant à la convoitise soulevée contre elle par l'infirmité de la chair.