19.
Après avoir condamné sans hésiter ces espèces de mensonge, nous passons à un autre qui semble comme un progrès vers le bien c'est celui qu'on attribue généralement à un - sentiment de bienveillance et de bonté, quand celui qui ment, non-seulement ne nuit à personne, mais rend même service à quelqu'un. Ici toute la question se réduit à savoir si c'est se faire tort à soi-même que de rendre service à quelqu'un aux dépens de la vérité. Quand même le nom de vérité ne conviendrait qu'à celle qui éclaire les intelligences de sa lumière intérieure et immuable, cependant le menteur dont nous parlons agit du moins à l'encontre d'une certaine vérité : car bien que les sens corporels soient sujets à la déception, c'est aller contre la vérité que de dire qu'une chose est telle ou n'est pas telle, quand ni l'intelligence, ni les sens, ni l'imagination, ni la foi ne le lui disent. Celui qui rend de cette façon service à un autre, ne se nuit-il point à lui-même, ou le service qu'il rend compense-t-il le tort qu'il se fait ? c'est là une grave question. S'il en est ainsi il faudra dire qu'il doit se rendre service à soi-même, en disant un mensonge qui ne nuit à personne. Mais ces propositions s'enchaînent mutuellement et les concessions mènent à des conséquences qui jettent dans un grand trouble. En effet si on demande quel tort éprouverait un homme excessivement riche de la perte d'un boisseau de blé pris parmi des milliers et des milliers d'autres, quand ce boisseau peut sauver la vie à celui qui le vole : on arrivera à dire qu'on peut voler sans se rendre coupable et rendre un faux témoignage sans pécher. Or quelle erreur plus criminelle que celle-là ? Mais si un autre avait volé ce boisseau, que vous en eussiez été témoin et qu'on vous questionnât là-dessus, ne vous serait-il pas permis de mentir? Quoi ! vous le pourriez pour un autre, et non pour vous qui êtes pauvre? Etes-vous obligé d'aimer votre prochain plus que vous-même ? Donc dans les deux cas le mensonge est coupable et il faut l'éviter.