38.
Au milieu des divergences qui apparaissent dans cette discussion, les uns soutenant qu'il ne faut jamais mentir et appuyant leur opinion sur les témoignages divins ; les autres affirmant le contraire et cherchant dans les paroles mêmes des textes sacrés, une place pour le mensonge : personne du moins ne peut dire qu'il ait trouvé dans les Ecritures un exemple ou un mot qui autorise à aimer ou à ne pas haïr une espèce quelconque de mensonge ; tout au plus verra-t-on qu'on peut quelquefois faire en mentant une action qu'on hait pour en éviter une qu'on doit haïr davantage. Mais les hommes se trompent en subordonnant ce qu'il y a de mieux à ce qu'il y a de pire. En effet si vous accordez qu'on peut quelquefois faire un mal moindre pour en éviter un plus grand ; ce ne sera plus d'après les règles de la vérité, mais d'après ses passions et ses habitudes que chacun mesurera le mal ; et le plus grand pour lui ne sera pas,en réalité celui qui doit lui inspirer le plus d'aversion, mais celui qu'il redoute davantage. Et ce défaut provient de la perversité des affections. Car, comme il existe pour nous deux vies, l'une éternelle que Dieu nous promet, l'autre temporelle où nous sommes maintenant; dès qu'on donne la préférence à celle-ci sur celle-là, on lui rapporte toutes ses actions, et les péchés qu'on regarde comme les plus graves sont ceux qui font tort à cette existence passagère, qui la privent injustement de quelques-uns de ses avantages ou la détruisent entièrement en lui donnant la mort. Aussi déteste-t-on les voleurs, les brigands, les insolents, les bourreaux, les assassins plus que les impudiques, les ivrognes, les libertins, si ceux-ci n'incommodent personne. On ne comprend pas ou l'on ne veut pas voir l'injure que ces derniers font à Dieu, non certes à son, détriment, mais pour leur grand malheur,-quand ils profanent en eux des dons même temporels, et par là se rendent indignes des biens éternels, surtout s'ils sont déjà devenus le temple de Dieu, suivant ces paroles que l'Apôtre adresse à tous les chrétiens : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? Si donc quelqu'un profane le temple de Dieu , Dieu le perdra. Car le temple de Dieu est saint et vous êtes ce temple1 ».
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I Cor. III, 16, 17. ↩