8.
Voilà pourquoi, à considérer la vie, les moeurs, les actions et les paroles des saints rapportées dans les livres du Nouveau Testament, et en dehors des instructions que le Seigneur a données en figures, on ne trouvera rien qui provoque à mentir par imitation. Car la dissimulation de Pierre et de Barnabé n'y est pas seulement rappelée, mais aussi blâmée et corrigée1. Ce n'est pas non plus, comme quelques-uns le pensent, parce même principe de dissimulation que Paul l'apôtre circoncit Timothée, ou pratiqua lui-même certaines cérémonies d'après le rite judaïque2; mais bien en vertu du principe qu'il proclamait, à savoir : que la circoncision n'était ni utile aux Gentils, ni nuisible aux Juifs; et que, selon lui, il ne fallait pas plus astreindre les païens à cette coutume juive, que faire un crime aux Juifs de suivre en ce point les traditions de leurs pères. C'était ce qui lui faisait dire : « Un circoncis a-t-il été appelé? Qu'il ne se donne point pour incirconcis. Est-ce un incirconcis qui a été appelé ? qu'il ne se fasse point circoncire. La circoncision n'est rien et l'incirconcision n'est rien; mais l'observation des commandements de Dieu est tout. Que chacun persévère dans la vocation où il était quand il a été appelé3 ». Comment en effet se donner pour incirconcis quand on a été circoncis? qu'il ne « se donne point», dit l'Apôtre, qu'il ne vive pas comme s'il se donnait pour incirconcis ; c'est-à-dire qu'il ne reprenne pas cette enveloppe de chair qu'il a dépouillée, comme s'il cessait d'être juif et dans le sens où il a dit ailleurs : « Ta circoncision est une incirconcision4 ». Et, ce langage, Paul ne le tient pas pour forcer les Gentils à demeurer incirconcis, ou les Juifs à conserver la pratique de leurs pères ; mais pour faire entendre aux uns et aux autres que rien, au contraire, ne peut les obliger à changer de situation, qu'ils sont libres, et nullement contraints de rester fidèles chacun à sa coutume. Sans doute si le juif jugeait à propos de quitter, sans troubler personne, les observations judaïques, l'Apôtre ne l'en empêcherait point; et s'il- lui conseille d'y rester fidèle, c'est pour que des pratiques désormais superflues, ne jettent point de trouble parmi les Juifs et ne les détournent pas de ce qui est nécessaire au salut. Il n'empêcherait pas davantage un païen qui voudrait se faire circoncire, uniquement pour prouver qu'il ne regarde point ce rite comme nuisible, mais bien comme un signe indifférent, dont l'utilité a disparu avec le temps ; car s'il n'y a plus de salut à espérer de ce côté-là, il n'y a pas non plus de mort à en craindre. C'est pour cela que Timothée, appelé dans l'incirconcision, et cependant né d'une mère juive, a été circoncis par l'Apôtre5; il devait prouver à ses proches, pour les gagner, que la doctrine chrétienne ne lui avait point appris a détester les sacrements de l'ancienne Loi; et en même temps démontrer aux Juifs que si les Gentils ne les recevaient pas, ce n'était pas parce qu'ils les trouvaient mauvais ni pour condamner la conduite des Juifs d'autrefois, mais parce qu'ils n'étaient plus nécessaires au salut, après l'avènement du grand mystère que toute l'ancienne Ecriture avait enfanté pendant tant de siècles par des figures prophétiques. Et Paul eût circoncis Tite lui-même sur la demande pressante des Juifs, si de faux frères ne fussent survenus pour l'exiger, dans le but de répandre le bruit que Paul avait cédé à l'évidence de leurs arguments, de proclamer que l'espoir du salut évangélique reposait sur la circoncision de la chair et des autres observances de ce genre, et de prétendre que sans cela le Christ ne servait de rien à personne6; tandis qu'au contraire le Christ ne servait de rien à ceux qui recevaient la circoncision comme une condition nécessaire au salut : ce qui faisait dire à l'Apôtre : « Voici que moi, Paul, je vous dis que si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien7 ». C'est donc en vertu de cette liberté que Paul est resté fidèle aux traditions paternelles, mais en prenant ses précautions et en ayant soin de prêcher qu'on ne devait point croire qu'un chrétien ne pût se sauver sans cela. Pierre au contraire, par sa dissimulation, forçait les Gentils à embrasser le Judaïsme, comme si c'eût été la condition du salut; ainsi que le font voir ces paroles de Paul : « Comment forces-tu les Gentils à judaïser8? » Or les Gentils n'y étaient forcés que parce qu'ils voyaient Pierre pratiquer ces observances comme si elles eussent été nécessaires au salut. Il ne faut donc pas comparer la dissimulation de Pierre à la liberté avec laquelle Paul agit. Par conséquent nous devons aimer Pierre acceptant de bon coeur la réprimande, et ne point invoquer en faveur du mensonge l'autorité de Paul qui a ramené publiquement Pierre dans le droit chemin, de peur que son exemple ne forçât les Gentils à judaïser. Et comme il passait pour ennemi des traditions paternelles, parce qu'il ne voulait pas les imposer aux païens, afin de confirmer sa doctrine par sa conduite, il n'a pas dédaigné de se conformer à ces mêmes traditions suivant l'usage du pays; faisant assez voir par là que, par le fait de l'arrivée du Christ, ces rites n'étaient ni nuisibles aux Juifs, ni nécessaires aux Gentils, ni avantageux à personne.