CHAPITRE XV. EN RECOMMANDANT LE TRAVAIL AUX SERVITEURS DE DIEU, PAUL VEUT NÉANMOINS QUE LES FIDÈLES POURVOIENT A LEURS BESOINS. LE TRAVAIL QUE LES SERVITEURS DE DIEU DOIVENT PRÉFÉRER EST CELUI QUI N'ENGENDRE PAS DE SOUCIS ET S'EXERCE SANS CUPIDITÉ.
16. En effet, Paul a prévu cette sorte de nécessité où pourraient se trouver les saints. Ceux-ci, tout en obéissant à sa maxime de manger en silence le pain du travail, sont exposés cependant, pour maintes causes, à manquer d'un supplément nécessaire à leur subsistance. Aussi, après les avoir instruits et prévenus en ces termes : « Quant à ceux qui en sont là, nous leur commandons et nous les conjurons en Jésus-Christ Notre-Seigneur de manger en silence leur pain par le travail1 », l'Apôtre craint que les chrétiens plus aisés, ceux qui ont de quoi fournir le nécessaire aux serviteurs de Dieu, ne prennent occasion de là pour se ralentir , et par précaution, il ajoute aussitôt : « Vous, au contraire, mes frères, gardez-vous de faiblir à bien faire2 » .
Et quand il écrit à Tite : « Faites prendre les devants à Zénas, docteur de la loi, et à Apollon, en prenant bien garde qu'il ne leur manque rien3 » , il veut aussi montrer le moyen qui les préservera de tout besoin, et ajoute aussitôt : « Que nos frères apprennent aussi à être toujours les premiers à pratiquer les bonnes oeuvres, lorsque la nécessité le demande, afin qu'ils ne demeurent point stériles et sans fruit4 ».
Il a des précautions semblables pour Timothée, qu'il appelle son plus aimé fils. Il le savait faible de santé, comme il le prouve assez en l'avertissant de ne pas boire d'eau, mais d'user d'un peu de vin à cause de son estomac et de ses fréquentes maladies5. Timothée ne pouvait donc se livrer à un travail corporel ; et ne voulant sans doute pas dépendre, pour sa subsistance quotidienne, de ceux auxquels il dispensait la parole évangélique, peut-être cherchait-il quelque autre occupation où il exerçât plutôt ses facultés intellectuelles. Car autre chose est de se réserver, en travaillant, toute sa liberté d'esprit, comme fait l'ouvrier ordinaire, quand il n'est ni frauduleux ni avare, ni tourmenté du désir de s'enrichir ; autre chose est d'occuper son esprit même à certains calculs, pénibles en dehors même du travail matériel, dans le but de faire ainsi de l'argent , comme c'est la profession , par exemple, des négociants, des courtiers, des loueurs. Ces gens mènent les affaires par leurs soins, sans toutefois travailler de leurs mains, et ils occupent ainsi leur intelligence même par le désir inquiet de s'enrichir. Timothée pouvait se jeter dans de pareilles occupations, puisque sa faiblesse physique lui rendait impossible le travail des mains. Paul, dans cette appréhension, lui prodigue en ces termes les avis, les encouragements, les consolations : « Travaillez comme un bon soldat de Jésus-Christ. « Celui qui est enrôlé au service de Dieu ne s'embarrasse point dans les affaires séculières, il ne veut plaire qu'à celui qu'il sert en volontaire. Celui qui prend part aux combats publics, n'est couronné qu'après avoir légitimement combattu6 ». Et de peur que son disciple, réduit à l'extrémité, ne lui dise : « Je ne puis travailler la terre, et je rougis de mendier7 », l'Apôtre ajoute : « Un laboureur qui travaille, doit le premier récolter des fruits8 » ; dans le même sens qu'il avait dit aux Corinthiens : « Qui donc alla jamais à la guerre à ses dépens? qui est-ce qui plante la vigne et ne mange point de son fruit ? Qui est-ce qui fait paître le troupeau et ne boit point de son lait? » — C'est ainsi que saint Paul rassure pleinement ce chaste prédicateur de l'Evangile, qui ne l'enseignait pas pour en faire marché, mais qui ne pouvait cependant gagner de ses mains le nécessaire de sa vie. Il veut lui faire comprendre qu'en prenant son nécessaire sur des fidèles, qu'il servait comme l'armée sert une province, qu'il cultivait comme une vigne, qu'il paissait comme un troupeau, ce n'était pas mendier, c'était exercer un droit.