Edition
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De civitate Dei (CCSL)
Caput XVIII: Felicitatem et Fortunam qui deas putant, qua ratione secernunt.
Quid, quod et Felicitas dea est? aedem accepit, aram meruit, sacra congrua persoluta sunt. ipsa ergo sola coleretur. ubi enim ipsa esset, quid boni non esset? sed quid sibi uult, quod et Fortuna dea putatur et colitur? an aliud est felicitas, aliud fortuna? quia fortuna potest esse et mala; felicitas autem si mala fuerit, felicitas non erit. certe omnes deos utriusque sexus - si et sexum habent - nonnisi bonos existimare debemus. hoc Plato dicit, hoc alii philosophi, hoc excellentes reipublicae populorumque rectores. quomodo ergo dea Fortuna aliquando bona est, aliquando mala? an forte quando mala est, dea non est, sed in malignum daemonem repente conuertitur? quot sunt ergo deae istae? profecto quotquot homines fortunati, hoc est bonae fortunae. nam cum sint et alii plurimi simul, hoc est uno tempore, malae fortunae, numquid, si ipsa esset, simul et bona esset et mala; his aliud, illis aliud? an illa, quae dea est, semper est bona? ipsa est ergo Felicitas: cur adhibentur diuersa nomina? sed hoc ferendum est; solet enim et una res duobus nominibus appellari. quid diuersae aedes, diuersae arae, diuersa sacra? est causa, inquiunt, quia felicitas illa est, quam boni habent praecedentibus meritis; fortuna uero, quae dicitur bona, sine ullo examine meritorum fortuito accidit hominibus et bonis et malis, unde etiam Fortuna nominatur. quomodo ergo bona est, quae sine ullo iudicio uenit et ad bonos et ad malos? ut quid autem colitur, quae ita caeca est passim in quoslibet incurrens, ut suos cultores plerumque praetereat et suis contemptoribus haereat? aut si aliquid proficiunt cultores eius, ut ab illa uideantur et amentur, iam merita sequitur, non fortuito uenit. ubi est definitio illa Fortunae? ubi est quod a fortuitis etiam nomen accepit? nihil enim prodest eam colere, si fortuna est. si autem suos cultores discernit, ut prosit, fortuna non est. an et ipsam, quo uoluerit, Iuppiter mittit? colatur ergo ipse solus; non enim potest ei iubenti et eam quo uoluerit mittenti Fortuna resistere. aut certe istam mali colant, qui nolunt habere merita, quibus dea possit Felicitas inuitari.
Übersetzung
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La cité de dieu
CHAPITRE XVIII.
SI LES PAÏENS ONT EU QUELQUE RAISON DE FAIRE DEUX DÉESSES DE LA FÉLICITÉ ET DE LA FORTUNE.
N’a-t-on pas fait aussi une déesse de la Félicité? ne lui a-t-on pas construit un temple, dressé un autel, offert des sacrifices? Il fallait au moins s’en tenir à elle; car où elle se trouve, quel bien peut manquer? Mais non, la Fortune a obtenu comme elle le rang et les honneurs divins. Y a-t-il donc quelque différence entre la Fortune et la Félicité? On dira que la fortune peut être mauvaise, tandis que la félicité, si elle était mauvaise, ne serait plus la félicité. Mais tous les dieux, de quelque sexe qu’ils soient, si toutefois ils ont un sexe, ne doivent-ils pas être réputés également bons? C’était du moins le sentiment de Platon1 et des autres philosophes, aussi bien que des plus excellents législateurs. Comment donc se fait-il que la Fortune soit tantôt bonne et tantôt mauvaise? Serait-ce par hasard que, lorsqu’elle devient mauvaise, elle cesse d’être déesse, et se change tout d’un coup en un pernicieux démon? Combien y a-t-il donc de Fortunes? Si vous considérez un certain nombre d’hommes fortunés, voilà l’ouvrage de la bonne fortune, et puisqu’il existe en même temps plusieurs hommes infortunés, c’est évidemment le fait de la mauvaise fortune; or, comment une seule et même fortune serait-elle à la fois bonne et mauvaise, bonne pour ceux-ci, mauvaise pour ceux-là? La question est de savoir si celle qui est déesse est toujours bonne. Si vous dites oui, elle se confond avec la Félicité. Pourquoi alors lui donner deux noms différents? Mais passons sur cela, car il n’est pas fort extraordinaire qu’une même chose porte deux noms. Je me borne à demander pourquoi deux temples, deux cultes, deux autels? Cela vient, disent-ils, de ce que la Félicité est la déesse qui se donne à ceux qui l’ont méritée, tandis que la Fortune arrive aux bons et aux méchants d’une manière fortuite, et c’est de là même qu’elle tire son nom. Mais comment la Fortune est-elle bonne, si elle se donne aux bons et aux méchants sans discernement; et pourquoi la servir, si elle s’offre à tous, se jetant comme une aveugle sur le premier venu, et souvent même abandonnant ceux qui la servent pour s’attacher à ceux qui la méprisent? Que si ceux qui l’adorent se flattent, par leurs hommages, de fixer son attention et ses faveurs, elle a donc égard aux mérites et n’arrive pas fortuitement. Mais alors que devient la définition de la Fortune, et comment peut-on dire qu’elle se nomme ainsi parce qu’elle arrive fortuitement? De deux choses l’une : ou il est inutile de la servir, si elle est vraiment la Fortune; ou si elle sait discerner ceux qui l’adorent, elle n’est plus la Fortune. Est-il vrai aussi que Jupiter l’envoie où il lui plaît? Si cela est, qu’on ne serve donc que Jupiter, la Fortune étant incapable de résister à ses ordres et devant aller où il l’envoie; ou du moins qu’elle n’ait pour adorateurs que les méchants et ceux qui ne veulent rien faire pour mériter et obtenir les dons de la Félicité.
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Voyez la République, livre II et ailleurs. ↩