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De civitate Dei (CCSL)
Caput XXI: Quod unum non intellegentes deum Virtute saltem et Felicitate debuerint esse contenti.
Has deas non ueritas, sed uanitas facit; haec enim ueri dei munera sunt, non ipsae sunt deae. uerumtamen ubi est uirtus et felicitas, quid aliud quaeritur? quid ei sufficit, cui uirtus felicitasque non sufficit? omnia quippe agenda conplectitur uirtus, omnia optanda felicitas. si Iuppiter, ut haec daret, ideo colebatur - quia, si bonum aliquid est latitudo regni atque diuturnitas, ad eandem pertinet felicitatem - , cur non intellectum est dona dei esse, non deas? si autem putatae sunt deae, saltem alia tanta deorum turba non quaereretur. consideratis enim officiis deorum dearumque omnium, quae sicut uoluerunt pro sua opinatione finxerunt, inueniant si possunt aliquid, quod praestari ab aliquo deo possit homini habenti uirtutem, habenti felicitatem. quid doctrinae uel a Mercurio uel a Minerua petendum esset, cum uirtus omnia se cum haberet? ars quippe ipsa bene recteque uiuendi uirtus a ueteribus definita est. unde ab eo, quod Graece ἀρετὴ dicitur uirtus, nomen artis Latinos traduxisse putauerunt. sed si uirtus nonnisi ad ingeniosum posset uenire, quid opus erat deo Catio patre, qui catos, id est acutos faceret, cum hoc posset conferre felicitas? ingeniosum quippe nasci felicitatis est, unde, etiamsi non potuit a nondum nato coli dea Felicitas, ut hoc ei conciliata donaret, conferret hoc parentibus eius cultoribus suis, ut eis ingeniosi filii nascerentur. quid opus erat parturientibus inuocare Lucinam, cum, si adesset Felicitas, non solum bene parerent, sed etiam bonos? quid necesse erat Opi deae commendare nascentes, deo Vaticano uagientes, deae Cuninae iacentes, deae Ruminae sugentes, deo Statilino stantes, deae Adeonae adeuntes, Abeonae abeuntes; deae Menti, ut bonam haberent mentem, deo Volumno et deae Volumnae, ut bona uellent; dis nuptialibus, ut bene coniugarentur, dis agrestibus, ut fructus uberrimos caperent, et maxime ipsi diuae Fructeseae; Marti et Bellonae, ut bene belligerarent, deae Victoriae, ut uincerent; deo Honori, ut honorarentur, deae Pecuniae, ut pecuniosi essent, deo Aesculano et filio eius Argentino, ut haberent aeream argenteamque pecuniam? nam ideo patrem Argentini Aesculanum posuerunt, quia prius aerea pecunia in usu coepit esse, post argentea. miror autem, quod Argentinus non genuit Aurinum, quia et aurea subsecuta est. quem deum isti si haberent, sicut Saturno Iouem, ita et patri Argentino et auo Aesculano Aurinum praeponerent. quid ergo erat necesse propter haec bona uel animi uel corporis uel externa tantam deorum turbam colere et inuocare - quos neque omnes commemoraui, nec ipsi potuerunt omnibus bonis humanis minutatim singillatimque digestis deos minutos et singulos prouidere - , cum posset magno facilique conpendio una dea Felicitas cuncta conferre, nec solum ad bona capienda quisquam alius, sed neque ad depellenda mala quaereretur? cur enim esset inuocanda propter fessos diua Fessona, propter hostes depellendos diua Pellonia, propter aegros medicus uel Apollo uel Aesculapius uel ambo simul, quando esset grande periculum? nec deus Spiniensis, ut spinas ex agris eradicaret; nec dea Rubigo, ut non accederet, rogaretur: una Felicitate praesente et tuente uel nulla mala exorerentur, uel facillime pellerentur. postremo quoniam de duabus istis deabus Virtute et Felicitate tractamus: si felicitas uirtutis est praemium, non dea, sed dei donum est; si autem dea est, cur non dicatur et uirtutem ipsa conferre, quandoquidem etiam uirtutem consequi felicitas magna est?
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La cité de dieu
CHAPITRE XXI.
LES PAÏENS, N’AYANT PAS LA CONNAISSANCE DES DONS DE DIEU, AURAIENT DU SE BORNER AU CULTE DE LA VERTU ET DE LA FÉLICITÉ.
Disons-le nettement : toutes ces déesses ne sont pas filles de la vérité, mais de la vanité. Dans le fait, les vertus sont des dons du vrai Dieu, et non pas des déesses. D’ailleurs, quand on possède la Vertu et la Félicité, qu’y a-t-il à souhaiter de plus? et quel objet pourrait suffire à qui ne suffisent pas la Vertu, qui embrasse tout ce qu’on doit faire, et la Félicité, qui renferme tout ce qu’on peut désirer? Si les Romains adoraient Jupiter pour en obtenir ces deux grands biens (car le maintien d’un empire et son accroissement, supposé que ce soient des biens, sont compris dans la Félicité), comment n’ont-ils pas vu que la Félicité, aussi bien que la Vertu, est un don de Dieu, et non pas une déesse? Ou si on voulait y voir des divinités, pourquoi ne pas s’en contenter, sans recourir à un si grand nombre d’autres dieux? Car enfin rassemblez par la pensée toutes les attributions qu’il leur a plu de partager entre tous les dieux et toutes les déesses, je demande s’il est possible de découvrir un bien quelconque qu’une divinités puisse donner à qui posséderait la Vertu et la Félicité. Quelle science aurait-il à demander à Mercure et à Minerve, du moment que la Vertu contient en soi toutes les sciences, suivant la définition des anciens, qui entendaient par Vertu l’art de bien vivre, et faisaient venir le mot latin ars du mot grec àreté qui signifie vertu? Si la Vertu suppose de l’esprit, qu’était-il besoin du père Catius, divinité chargée de rendre les hommes fins et avisés1, la Félicité pouvant aussi d’ailleurs leur procurer cet avantage car naître spirituel est une chose heureuse; et c’est pourquoi ceux qui n’étaient pas encor nés, ne pouvant servir la Félicité pour en obtenir de l’esprit, le culte que lui rendaient leurs parents devait suppléer à ce défaut. Quelle nécessité pour les femmes en couche d’invoquer Lucine, quand, avec l’assistance de la Félicité, elles pouvaient non-seulement accoucher heureusement, mais encore mettre au monde des enfants bien partagés? était-i besoin de recommander à la déesse Opis l’enfant qui naît, au dieu Vaticanus l’enfant qui vagit, à la déesse Cunina l’enfant au berceau, à la déesse Rumina l’enfant qui tète, au dieu Statilinus les gens qui sont debout, à la déesse Adéona ceux qui nous abordent, à la déesse Abéona ceux qui s’en vont 2 ? pourquoi fallait-il s’adresser à la déesse Mens pour être intelligent, au dieu Volumnus et à la déesse Volumna pour posséder le bon vouloir, aux dieux des noces pour se bien marier, aux dieux des champs et surtout à la déesse Fructesea pour avoir une bonne récolte, à Mars et à Bellone pour réussir à la guerre, à la déesse Victoire pour être victorieux, au dieu Honos pour avoir des honneurs, à la déesse Pécunia pour devenir riche, enfin au dieu Asculanus et à son fils Argentinus pour avoir force cuivre et force argent 3 ? Au fait, la monnaie d’argent a été précédée par la monnaie de cuivre; et ce qui m’étonne, c’est qu’Argentinus n’ait pas à son tour engendré Aurinus, puisque la monnaie d’or est venue après. Si ce dieu eût existé, il est à croire qu’ils l’auraient préféré à son père Argentinus et à son grand-père Asculanus, comme ils ont préféré Jupiter à Saturne. Encore une fois, qu’était-il nécessaire, pour obtenir les biens de l’âme ou ceux du corps, ou les biens extérieurs, d’adorer et d’invoquer cette foule de dieux que je n’ai pas tous nommés, et que les païens eux-mêmes n’ont pu diviser et multiplier à l’égal de leurs besoins, alors que la déesse Félicité pouvait si aisément les résumer tous? Et non-seulement elle seule suffisait pour obtenir tous les biens, mais aussi pour éviter tous les maux; car A quoi bon invoquer la déesse Fessonia contre la fatigue, la déesse Pellonia pour expulser l’ennemi, Apollon ou Esculape contre les maladies, ou ces deux médecins ensemble, quand le cas était grave? à quoi bon enfin le dieu Spiniensis pour arracher les épines des champs, et la déesse Rubigo4 pour écarter la nielle? La seule Félicité, par sa présence et sa protection, pouvait détourner ou dissiper tous ces maux. Enfin, puisque nous traitons ici de la Vertu et de la Félicité, si la Félicité est la récompense de la Vertu, ce n’est donc pas une déesse, mais un don de Dieu; ou si c’est une déesse, pourquoi ne dit-on pas que c’est elle aussi qui donne la vertu, puisque être vertueux est une grande félicité?
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Le dieu Catius, dit le texte, rend les hommes cati, c’est-à-dire fins. ↩
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Adeona de adire, aborder; Abeona de abire, s’en aller. ↩
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On sait que le nom de la déesse Mens signifie intelligence, que Pecunia veut dire monnaie, richesse. Aesculanus vient de aes, airain, cuivre. ↩
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Ovide décrit les Rubiginalia, fétea de la déesse Rubigo, dans ses Fastes, lib. IV, vers. 907 et seq. ↩