Traduction
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La cité de dieu
CHAPITRE XIV.
DE LA RÉVOLUTION RÉGULIÈRE DES SIÈCLES QUI, SUIVANT QUELQUES PHILOSOPHES, REMET TOUTES CHOSES DANS LE MÊME ORDRE ET LE MÊME ÉTAT.
Quelques philosophes, pour se tirer de cette difficulté, ont inventé je ne sais quelles révolutions de siècles qui reproduisent et ramènent incessamment les mêmes êtres, soit que l’on conçoive ces révolutions comme s’accomplissant au sein d’un monde qui subsiste identique sous ces transformations successives, soit que le monde lui-même périsse pour renaître dans une alternative éternelle. Rien n’est excepté de cette vicissitude, pas même l’âme immortelle; quand elle est parvenue à la sagesse, ils la font toujours passer d’une fausse béatitude à une misère trop véritable. Comment, en effet, peut-elle être heureuse, si elle n’est jamais assurée de son bonheur, soit qu’elle ignore, soit qu’elle redoute la misère qui l’attend; que si l’on dit qu’elle passe de la misère au bonheur pour ne plus le perdre absolument, il faut convenir alors qu’il arrive dans le temps quelque chose de nouveau qui ne finit point par le temps. Pourquoi ne pas dire la même chose du monde et de l’homme qui a été créé dans le monde, sans avoir recours à ces révolutions chimériques?
En vain quelques-uns s’efforcent de les appuyer par ce passage de Salomon au livre de l’Ecclésiaste1 : « Qu’est-ce qui a été? ce qui sera. Que s’est-il fait? ce qui doit se faire encore. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, et personne ne peut dire : Cela est nouveau; car cela même est déjà arrivé dans les siècles précédents ». Ce passage ne doit s’entendre que des choses dont il a été question auparavant, comme de la suite des générations, du cours du soleil, de la chute des torrents, ou au moins de tout ce qui naît et qui meurt dans le monde. En effet, il y a eu des hommes avant nous, comme il y en a avec nous, comme il y en aura après nous, et ainsi des plantes et des animaux. Les monstres mêmes, bien qu’ils diffèrent entre eux, et qu’il y en ait qui n’ont paru qu’une fois, sont semblables en cela qu’ils sont tous des monstres, et par conséquent il n’est pas nouveau qu’un monstre naisse sous le soleil. D’autres, expliquant autrement les paroles de Salomon, entendent que tout est déjà arrivé dans la prédestination de Dieu, et qu’ainsi il n’y a rien de nouveau sous le soleil2. Quoi qu’il en soit, à Dieu ne plaise que nous trouvions dans l’Ecriture ces révolutions imaginaires par lesquelles on veut que toutes les choses du monde soient incessamment recommencées, comme si, par exemple, un philosophe nommé Platon, ayant enseigné autrefois la philosophie dans une école d’Athènes, appelée l’Académie, il fallait croire que le même Platon aurait enseigné longtemps auparavant la même philosophie, dans la même ville, dans la même école, et devant les mêmes auditeurs, à des époques infiniment reculées, et qu’il devrait encore l’enseigner de même après une révolution de plusieurs siècles. Loin de nous une telle extravagance ! Car Jésus-Christ, qui est mort une fois pour nos péchés, ne meurt plus, et la mort n’aura plus d’empire sur lui3 et nous, après la résurrection, nous serons toujours avec le Seigneur4, à qui nous disons maintenant comme le Psalmiste: « Vous nous conserverez toujours, Seigneur, depuis ce siècle jusqu’en l’éternité5 ». Il me semble encore que ce qui suit dans le même psaume: «Les impies vont tournant dans un cercle », ne convient pas mal à ces philosophes, non qu’ils soient destinés à passer par ces cercles qu’ils imaginent, mais parce qu’ils tournent dans un labyrinthe d’erreurs.
Edition
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De civitate Dei (CCSL)
Caput XIV: De reuolutione saeculorum, quibus certo fine conclusis uniuersa semper in eundem ordinem eandem que speciem reditura quidam philosophi crediderunt.
Hanc autem se philosophi mundi huius non aliter putauerunt posse uel debere dissoluere, nisi ut circuitus temporum inducerent, quibus eadem semper fuisse renouata atque repetita in rerum natura atque ita deinceps fore sine cessatione adseuerarent uolumina uenientium et praetereuntium saeculorum; siue in mundo permanente isti circuitus fierent, siue certis interuallis oriens et occidens mundus eadem semper quasi noua, quae transacta et uentura sunt, exhiberet. a quo ludibrio prorsus inmortalem animam, etiam cum sapientiam perceperit, liberare non possunt, euntem sine cessatione ad falsam beatitudinem et ad ueram miseriam sine cessatione redeuntem. quomodo enim uera beatitudo est, de cuius numquam aeternitate confiditur, dum anima uenturam miseriam aut inperitissime in ueritate nescit aut infelicissime in beatitudine pertimescit? at si ad miserias numquam ulterius reditura ex his ad beatitudinem pergit: fit ergo aliquid noui in tempore, quod finem non habet temporis. cur non ergo et mundus? cur non et homo factus in mundo? ut illi nescio qui falsi circuitus a falsis sapientibus fallacibusque conperti in doctrina sana tramite recti itineris euitentur. nam quidam et illud, quod legitur in libro Salomonis, qui uocatur ecclesiastes: quid est quod fuit? ipsum quod erit. et quid est quod factum est? ipsum quod fiet; et non est omne recens sub sole. qui loquetur et dicet: ecce hoc nouum est: iam fuit saeculis quae fuerunt ante nos, propter hos circuitus in eadem redeuntes et in eadem cuncta reuocantes dictum intellegi uolunt; quod ille aut de his rebus dixit, de quibus superius loquebatur, hoc est de generationibus aliis euntibus, aliis uenientibus, de solis anfractibus, de torrentium lapsibus; aut certe de omnium rerum generibus, quae oriuntur atque occidunt. fuerunt enim homines ante nos, sunt et nobis cum, erunt et post nos; ita quaeque animantia uel arbusta. monstra quoque ipsa, quae inusitata nascuntur, quamuis inter se diuersa sint et quaedam eorum semel facta narrentur, tamen secundum id, quod generaliter miracula et monstra sunt, utique et fuerunt et erunt. nec recens et nouum est, ut monstrum sub sole nascatur. quamuis haec uerba quidam sic intellexerint, tamquam in praedestinatione dei iam facta fuisse omnia sapiens ille uoluisset intellegi, et ideo nihil recens esse sub sole. absit autem a recta fide, ut his Salomonis uerbis illos circuitus significatos esse credamus, quibus illi putant sic eadem temporum temporaliumque rerum uolumina repeti, ut uerbi gratia, sicut isto saeculo Plato philosophus in urbe Atheniensi et in ea schola, quae Academia dicta est, discipulos docuit, ita per innumerabilia retro saecula multum quidem prolixis interuallis, sed tamen certis, et idem Plato et eadem ciuitas et eadem schola idemque discipuli repetiti et per innumerabilia deinde saecula repetendi sint. absit, inquam, ut nos ista credamus. semel enim Christus mortuus est pro peccatis nostris; surgens autem a mortuis iam non moritur, et mors ei ultra non dominabitur; et nos post resurrectionem semper cum domino erimus, cui modo dicimus, quod sacer admonet psalmus: tu, domine, seruabis nos et custodies nos a generatione hac et in aeternum. satis autem istis existimo conuenire quod sequitur: in circuitu inpii ambulabunt; non quia per circulos, quos opinantur, eorum uita est recursura, sed quia modo talis est erroris eorum uia, id est falsa doctrina.