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Œuvres Augustin d'Hippone (354-430)

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La cité de dieu

CHAPITRE VI.

ROME A FAIT UN DIEU DE ROMULUS, PARCE QU’ELLE AIMAIT EN LUI SON FONDATEUR; AU LIEU QUE L’ÉGLISE A AIMÉ JÉSUS-CHRIST, PARCE QU’ELLE L’A CRU DIEU.

Rappelons ici le passage où Cicéron1 s’étonne que la divinité de Romulus ait obtenu créance. Voici ses propres paroles : « Ce qu’il y a de plus admirable dans l’apothéose de Romulus, c’est que les autres hommes qui ont été faits dieux vivaient dans des siècles grossiers, où il était aisé de persuader aux peuples tout ce qu’on voulait. Mais il n’y a pas encore six cents ans qu’existait Romulus, et déjà les lettres et les sciences "s'étendaient" depuis longtemps dans le monde, et y avaient dissipé la barbarie2 ». Et un peu après il ajoute: « On voit donc que Romulus a existé bien des années après Homère, et que, les hommes commençant à être éclairés, il était difficile, dans un siècle déjà poli, de recourir à des fictions. Car l’antiquité « a reçu des fables qui étaient quelquefois bien grossières ; mais le siècle de Romulus était trop civilisé pour rien admettre qui ne fût au moins vraisemblable ». Ainsi, voilà un des hommes les plus savants et les plus éloquents du monde, Cicéron, qui s’étonne qu’on ait cru à la divinité de Romulus, parce que le siècle où-il est venu était assez éclairé pour répudier des fictions. Cependant, qui a cru que Romulus était un dieu, sinon Rome, et encore Rome faible et naissante? Les générations suivantes furent obligées de conserver la tradition des ancêtres; et, après avoir sucé cette superstition avec le lait, elles la répandirent parmi les peuples que Rome fit passer sous son joug. Ainsi, toutes ces nations vaincues, sans ajouter foi à la divinité de Romulus, ne laissaient pas de la proclamer pour ne pas offenser la maîtresse du monde, trompée elle-même, sinon par amour de l’erreur, du moins par l’erreur de son amour. Combien est différente notre foi dans la divinité de Jésus-Christ !

Il est sans doute le fondateur de la Cité éternelle; mais tant s’en faut qu’elle l’ait cru dieu, parce qu’il l’a fondée, qu’elle ne mérite d’être fondée que parce qu’elle le croit dieu. Rome, déjà bâtie et dédiée, a élevé à son fondateur un temple où elle l’a adoré comme un dieu ; la nouvelle Jérusalem, afin d’être bâtie et dédiée, a pris pour base de sa foi son fondateur, Jésus-Christ Dieu. La première, par amour pour Romulus, l’a cru dieu ; la seconde, convaincue que Jésus-Christ était Dieu, l’a aimé. Quelque chose a donc précédé l’amour de celle-là, et l’a portée à croire complaisamment à une perfection, même imaginaire, de celui qu’elle aimait; et de même, quelque chose a précédé la foi de celle-ci, pour lui-faire aimer sans témérité un privilége très-véritable dans celui en qui elle croit. Sans parler, en effet, de tant de miracles qui ont établi la divinité de Jésus-Christ, nous avions sur lui, avant qu’il ne parût sur la terré, des prophéties divines parfaitement dignes de foi et dont nous n’attendions pas l’accomplissement, comme nos pères, mais qui sont déjà accomplies. Il n’en est pas ainsi de Romulus. On sait par les historiens qu’il a bâti Rome et qu’il y a régné, sans qu’aucune prophétie antérieure eût rien annoncé de cela. Main tenant, qu’il ait été transporté parmi les dieux, l’histoire le rapporte comme une croyance, elle ne le prouve point comme un fait. Point de miracle pour témoigner de la vérité de cette apothéose. On parle d’une louve qui nourrit les deux frères comme d’une grande merveille. Mais qu’est-ce que cela pour prouver qu’un homme est un dieu? Alors même que cette louve aurait été Une vraie louve et non pas une courtisane3, le prodige aunait été commun aux deux-frères, et cependant il n’y en a qu’un qui passe pour un dieu. D’ailleurs, à qui a-t-on défendu de croire et de dire que Romulus, Hercule et autres personnages semblables étaient des dieux? Et qui a mieux aimé mourir que de cacher sa foi? Ou plutôt se serait-il jamais rencontré une seule nation qui eût adoré Romulus sans la crainte du nom romain? Et cependant qui pourrait compter tous ceux qui ont mieux aimé perdre la vie dans les plus cruels tourments que de nier la divinité de Jésus-Christ? Ainsi la crainte, fondée ou non, d’encourir une légère indignation des Romains contraignait quelques peuples vaincus à adorer Romulus comme un dieu; et la crainte des plus horribles supplices et de la mort même, n’a pu empêcher sur toute la terre un nombre immense de martyrs, non-seulement d’adorer Jésus-Christ comme un dieu, mais de le confesser publiquement. La Cité de Dieu, étrangère encore ici-bas, mais qui avait déjà recruté toute une armée de peuples, n’a point alors combattu contre ses persécuteurs pour la conservation d’une vie temporelle; mais au contraire elle ne leur a point résisté, afin d’acquérir la vie éternelle. Les chrétiens étaient chargés de chaînes, mis en prison, battus de verges, tourmentés, brûlés, égorgés, mis en pièces, et leur nombre augmentait4. Ils ne croyaient pas combattre pour leur salut éternel, s’ils ne méprisaient leur salut éternel pour l’amour du Sauveur.

Je sais que Cicéron, dans sa République, au livre huitième, si je ne me trompe, soutient qu’un Etat bien réglé n’entreprend jamais la guerre que pour garder sa foi ou pour veiller à son salut. Et Cicéron explique ailleurs ce qu’il entend par le salut d’un Etat, lorsqu’il dit : « Les particuliers se dérobent souvent par une prompte mort à la pauvreté, à l’exil, à la prison, au fouet, et aux autres peines auxquelles les hommes les plus grossiers ne sont pas insensibles; mais la mort même, qui semble affranchir de toute peine, est une peine pour un Etat, qui doit être constitué pour être éternel. Ainsi la mort n’est point naturelle à une république comme elle l’est à un individu, qui doit non-seulement la subir malgré lui, mais souvent même la souhaiter. Lors donc qu’un Etat succombe, disparaît, s’anéantit, il nous est (si l’on peut comparer les petites choses aux grandes), il nous est une image de la ruine et de la destruction du monde entier ». Cicéron parle ainsi, parce qu’il pense, avec les Platoniciens, que le monde ne doit jamais périr5. Il est donc avéré que, suivant Cicéron, un Etat doit entreprendre la guerre pour son salut, c’est-à-dire pour subsister éternellement ici-bas, tandis que ceux qui le composent, naissent et meurent par une continuelle révolution : comme un olivier, un laurier, ou tout autre arbre semblable, conserve toujours le même ombrage, malgré la chute et le renouvellement de ses feuilles. La mort, selon lui, n’est pas une peine pour les particuliers, puisqu’elle les délivre souvent de toute autre peine, mais elle est une peine pour un Etat. Ainsi l’on peut demander avec raison si les Sagontins firent bien d’aimer mieux que leur cité pérît que de manquer de foi aux Romains, car les citoyens de la cité de la terre les louent de cette action. Mais je ne vois pas comment ils pouvaient suivre cette maxime de Cicéron: qu’il ne faut entreprendre la guerre que pour sa foi ou son salut, Cicéron ne disant pas ce qu’il faut faire de préférence dans le cas où l’on ne pourrait conserver l’un de ces biens sans perdre l’autre. En effet, les Sagontins ne pouvaient se sauver sans trahir leur foi envers les Romains, ni garder cette foi sans périr, comme ils périrent en effet. Il n’en est pas de même du salut dans la Cité de Dieu : on le conserve, ou plutôt on l’acquiert avec ta foi et par la foi, et la perte de la foi entraîne celle du salut. C’est cette pensée d’un coeur ferme et généreux qui a fait un si grand nombre de martyrs, tandis que Romulus n’en a pu avoir un seul qui ait versé son sang pour confesser sa divinité.


  1. Ce n’est pas Cicéron en personne qui donne le chiffre de six cents ans, et comment le donnerait-il, lui qui écrivait la République sept cents ans environ après la fondation de Rome? Il faut mettre les paroles citées par saint Augustin dans la bouche d’un des interlocuteurs du dialogue, le second Africain ou Lélius. ↩

  2. De Republ., lib., II, cap. 10. ↩

  3. Voyez plus haut ce qui est dit sur ce point, au livre XVIII, ch. 21. ↩

  4. Ces mots rappellent l’éloquent passage de Tertullien : « Nous ne somes que d’hier et nous remplissons vos ville, vos îles, vos châteaux, vos municipes, vos conseils, vos camps, vos tribus, vos décuries, le palais, le sénat, le forum ; nous ne vous laissons que vos temples. Qu’il nous serait aisé de vous rendre guerre pour guerre, même à nombre inégal, nous qui nous laissons massacrer sans aucun regret, si ce n’était une de nos maximes qu’il vaut mieux subir la mort que de la donner? . » (Apolog., ch. 37). ↩

  5. Cicéron semble dire le contraire au chapitre 24 du livre VI de la République; mais, en cet endroit, il ne parle pas en son nom; il est l’interprète des croyances populaires. Voyez, à l’appui de l’interprétation de saint Augustin, De somn. Scip., li. II, cap. 12 et seq. ↩

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The City of God

Chapter 6.--That Rome Made Its Founder Romulus a God Because It Loved Him; But the Church Loved Christ Because It Believed Him to Be God.

Let us here recite the passage in which Tully expresses his astonishment that the apotheosis of Romulus should have been credited. I shall insert his words as they stand: "It is most worthy of remark in Romulus, that other men who are said to have become gods lived in less educated ages, when there was a greater propensity to the fabulous, and when the uninstructed were easily persuaded to believe anything. But the age of Romulus was barely six hundred years ago, and already literature and science had dispelled the errors that attach to an uncultured age." And a little after he says of the same Romulus words to this effect: "From this we may perceive that Homer had flourished long before Romulus, and that there was now so much learning in individuals, and so generally diffused an enlightenment, that scarcely any room was left for fable. For antiquity admitted fables, and sometimes even very clumsy ones; but this age [of Romulus] was sufficiently enlightened to reject whatever had not the air of truth." Thus one of the most learned men, and certainly the most eloquent, M. Tullius Cicero, says that it is surprising that the divinity of Romulus was believed in, because the times were already so enlightened that they would not accept a fabulous fiction. But who believed that Romulus was a god except Rome, which was itself small and in its infancy? Then afterwards it was necessary that succeeding generations should preserve the tradition of their ancestors; that, drinking in this superstition with their mother's milk, the state might grow and come to such power that it might dictate this belief, as from a point of vantage, to all the nations over whom its sway extended. And these nations, though they might not believe that Romulus was a god, at least said so, that they might not give offence to their sovereign state by refusing to give its founder that title which was given him by Rome, which had adopted this belief, not by a love of error, but an error of love. But though Christ is the founder of the heavenly and eternal city, yet it did not believe Him to be God because it was founded by Him, but rather it is founded by Him, in virtue of its belief. Rome, after it had been built and dedicated, worshipped its founder in a temple as a god; but this Jerusalem laid Christ, its God, as its foundation, that the building and dedication might proceed. The former city loved its founder, and therefore believed him to be a god; the latter believed Christ to be God, and therefore loved Him. There was an antecedent cause for the love of the former city, and for its believing that even a false dignity attached to the object of its love; so there was an antecedent cause for the belief of the latter, and for its loving the true dignity which a proper faith, not a rash surmise, ascribed to its object. For, not to mention the multitude of very striking miracles which proved that Christ is God, there were also divine prophecies heralding Him, prophecies most worthy of belief, which being already accomplished, we have not, like the fathers, to wait for their verification. Of Romulus, on the other hand, and of his building Rome and reigning in it, we read or hear the narrative of what did take place, not prediction which beforehand said that such things should be. And so far as his reception among the gods is concerned, history only records that this was believed, and does not state it as a fact; for no miraculous signs testified to the truth of this. For as to that wolf which is said to have nursed the twin-brothers, and which is considered a great marvel, how does this prove him to have been divine? For even supposing that this nurse was a real wolf and not a mere courtezan, yet she nursed both brothers, and Remus is not reckoned a god. Besides, what was there to hinder any one from asserting that Romulus or Hercules, or any such man, was a god? Or who would rather choose to die than profess belief in his divinity? And did a single nation worship Romulus among its gods, unless it were forced through fear of the Roman name? But who can number the multitudes who have chosen death in the most cruel shapes rather than deny the divinity of Christ? And thus the dread of some slight indignation, which it was supposed, perhaps groundlessly, might exist in the minds of the Romans, constrained some states who were subject to Rome to worship Romulus as a god; whereas the dread, not of a slight mental shock, but of severe and various punishments, and of death itself, the most formidable of all, could not prevent an immense multitude of martyrs throughout the world from not merely worshipping but also confessing Christ as God. The city of Christ, which, although as yet a stranger upon earth, had countless hosts of citizens, did not make war upon its godless persecutors for the sake of temporal security, but preferred to win eternal salvation by abstaining from war. They were bound, imprisoned, beaten, tortured, burned, torn in pieces, massacred, and yet they multiplied. It was not given to them to fight for their eternal salvation except by despising their temporal salvation for their Saviour's sake.

I am aware that Cicero, in the third book of his De Republica, if I mistake not, argues that a first-rate power will not engage in war except either for honor or for safety. What he has to say about the question of safety, and what he means by safety, he explains in another place, saying, "Private persons frequently evade, by a speedy death, destitution, exile, bonds, the scourge, and the other pains which even the most insensible feel. But to states, death, which seems to emancipate individuals from all punishments, is itself a punishment; for a state should be so constituted as to be eternal. And thus death is not natural to a republic as to a man, to whom death is not only necessary, but often even desirable. But when a state is destroyed, obliterated, annihilated, it is as if (to compare great things with small) this whole world perished and collapsed." Cicero said this because he, with the Platonists, believed that the world would not perish. It is therefore agreed that, according to Cicero, a state should engage in war for the safety which preserves the state permanently in existence though its citizens change; as the foliage of an olive or laurel, or any tree of this kind, is perennial, the old leaves being replaced by fresh ones. For death, as he says, is no punishment to individuals, but rather delivers them from all other punishments, but it is a punishment to the state. And therefore it is reasonably asked whether the Saguntines did right when they chose that their whole state should perish rather than that they should break faith with the Roman republic; for this deed of theirs is applauded by the citizens of the earthly republic. But I do not see how they could follow the advice of Cicero, who tell us that no war is to be undertaken save for safety or for honor; neither does he say which of these two is to be preferred, if a case should occur in which the one could not be preserved without the loss of the other. For manifestly, if the Saguntines chose safety, they must break faith; if they kept faith, they must reject safety; as also it fell out. But the safety of the city of God is such that it can be retained, or rather acquired, by faith and with faith; but if faith be abandoned, no one can attain it. It is this thought of a most steadfast and patient spirit that has made so many noble martyrs, while Romulus has not had, and could not have, so much as one to die for his divinity.

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