CHAPITRE XXVII. LE MAL RÉSULTE-T-IL D'UNE SÉPARATION DE SUBSTANCE?
29. Comment convaincre des esprits pervertis par l'erreur et victimes de malheureuses habitudes? Ils parlent, mais sans savoir ce qu'ils disent, car ils n'y réfléchissent pas. Croyez-moi, personne ne vous presse, personne ne vous pousse au combat, personne n'insulte à des erreurs passées; il faudrait pour cela avoir été délaissé par la miséricorde divine et être tombé soi-même dans l'erreur: enfin ne nous occupons que d'en finir au plus tôt. Réfléchissez donc un instant, sans animosité et sans amertume. Nous sommes tous hommes; ce n'est pas nous que nous haïssons, mais l'erreur et le mensonge. Je vous en prie, réfléchissez un peu. Dieu des miséricordes, venez en aide à la faiblesse de notre intelligence et éclairez de votre lumière intérieure ceux qui cherchent la vérité. Que pouvons-nous comprendre, si nous ne comprenons pas que le bien l'emporte sur le mal? Comptant donc sur votre indulgence, voici la question que je vous adresse: en supposant droit le côté par lequel la terre de ténèbres adhère au côté, également droit, de la terre de lumière, pourrait-on déformer le premier de ces côtés, sans en affaiblir la beauté ? A moins de vous obstiner dans la chicane, vous conviendrez nécessairement qu'en déformant le côté ténébreux, non-seulement on le prive de sa beauté propre, mais même on lui ôte celle qui lui était commune avec le côté droit de la terre de lumière, et qui résultait de leur union réciproque. Par l'effet de cette déformation, ce qui s'accordait ne s'accorde plus, ce qui s'attirait se repousse; tout cela est vrai, mais enfin suit-il de là qu'on ait retranché quelque portion de substance ? Convenez donc que la -substance n'est pas mauvaise par elle-même. Un simple changement de forme dans un corps suffit pour faire perdre à ce corps sa beauté, ou du moins pour affaiblir, pour rendre laid ce qui auparavant était beau, pour rendre désagréable ce qui plaisait auparavant. La même chose se produit dans l'âme : ce qui en fait la beauté, c'est une volonté droite, principe d'une vie pieuse et juste; que la volonté se déprave, et aussitôt l'âme perd sa beauté, elle devient même malheureuse, tandis qu'avec une volonté droite elle jouissait du bonheur. Or, tout cela se produit sans qu'il s'opère aucun changement, aucune addition ou diminution dans la substance.
30. Admettons, si vous voulez, que le côté de la terre des ténèbres soit mauvais pour d'autres causes, parce qu'il est obscur, ténébreux et autre chose semblable; du moins n'oubliez pas que s'il est mauvais, ce n'est pas parce qu'il est droit. Je vous concède qu'il y a quelque chose de mauvais dans sa couleur ; mais ne me refusez pas l'aveu qu'il y a aussi quelque chose de bien dans sa rectitude. Or, ce bien, quel qu'il soit, il n'est pas juste de soutenir qu'il ne vient pas de Dieu; car à moins de tomber dans l'erreur la plus grossière, nous sommes obligés de croire que tout ce qu'il y a de bien dans la nature n'a d'autre principe que Dieu même. Comment donc l'auteur dont nous parlons peut-il soutenir que cette terre soit le souverain mal, quand j'y trouve la rectitude qui dans un corps est un des principaux caractères de la beauté? Comment ose-t-il affirmer qu'il n'y a entre elle et Dieu aucune relation possible? à qui donc rapporterons-nous le bien que nous trouvons en elle, sinon à Celui qui est l'auteur de tous les biens? Mais, dit-il, ce côté même était mauvais. Admettez qu'il soit mauvais, mais convenez aussi qu'il le serait davantage, si au lieu d'être droit il était tortueux. Et dès lors, comment pouvez-vous regarder comme le souverain mal, un mal qui aurait pu encore être plus mauvais? Il y a plus, et je dis qu'on doit regarder comme bonne, une chose dont la privation rend l'objet plus mauvais. Or, s'il n'était pas droit, ce côté serait encore plus défectueux ; la rectitude est donc en soi quelque chose de bon. Et jamais-vous ne m'expliquerez l'origine de ce bien, à moins que vous n'éleviez votre pensée jusqu'à Celui que nous regardons comme le principe nécessaire de tout ce qu'il y a de bien dans le monde. Mais quittons l'étude de ce côté ténébreux et passons à d'autres considérations.