CHAPITRE LXXXIV. THAMAR; LES TROIS FILS DE JUDA, HER, ONAN, SELOM.INTERPRÉTATION DE CES NOMS PROPHÉTIQUES.
Dans Thamar donc, belle-fille de Juda, on entend le peuple du royaume des Juifs, à qui les rois issus de la tribu de Juda étaient unis comme époux. C'est avec raison qu'on interprète ce mot de Thamar par amertume, car c'est ce peuple qui a présenté le vase de fiel au Seigneur[^2]. Deux espèces de princes qui agissaient mal au sein de la nation, les uns comme nuisibles, les autres comme inutiles, sont représentés par les deux fils de Juda, dont l'un était méchant ou cruel aux yeux du Seigneur, et dont l'autre abusait du mariage pour ne point rendre mère Thamar. Au fait, il n'y a que deux espèces d'hommes inutiles au genre humain : les uns parce qu'ils nuisent, les autres parce qu'ils ne veulent pas donner ce qu'ils ont de bien, préfèrent le perdre en cette vie terrestre et le répandent, pour ainsi dire, à terre. Et comme celui qui nuit est pire que celui qui est inutile, on appelle l'aîné méchant; celui qui abusait du mariage ne venait qu'après. De plus, le nom de Her, que portait l'ainé, veut dire « Vêtu de peaux »; car c'était de peaux que se revêtaient les premiers hommes, expulsés du paradis en vertu de leur condamnation[^3]. Le nom du second était Aynan (Onan) qui signifie « leur chagrin » : le chagrin de qui, sinon de ceux à qui il n'est point utile, bien qu'il ait de quoi l'être, et qui aime mieux répandre son bien à terre? Or, c'est un plus grand mal d'ôter la vie, ce que signifie « vêtu de peaux », que de ne pas lui venir en aide, ce que signifie «leur chagrin » ; cependant, on dit que Dieu les mit tous les deux à mort, ce qui signifie en figure qu'il a privé du royaume ces deux espèces d'hommes. Quant au troisième fils de Juda, il n'est point uni à Thamar, ce qui indique l'époque où les rois du peuple juif ont cessé d'être tirés de la tribu de Juda. Il était pourtant fils de Juda, mais on ne le donnait point pour époux à Thamar ; la tribu de Juda subsistait encore, mais elle ne donnait plus de rois au peuple. Aussi le nom de celui-là est-il « Selom », qui signifie « son renvoi ». Evidemment, cette signification ne s'applique point aux saints et aux justes qui, bien qu'ils vécussent en ce temps-là, appartenaient cependant au Nouveau Testament, auquel ils étaient utiles par des prophéties dont ils comprenaient le sens, comme David par exemple. Mais, à l'époque où la tribu de Juda a cessé de donner des rois à la Judée, il ne faut pas compter, parmi ses rois, Hérode le Grand, comme s'il eût été l'époux de Thamar ; car il était étranger, et ne tenait point à la nation par le sacrement de l'onction mystérieuse, espèce de contrat de mariage; mais il régnait en qualité d'étranger et avait reçu le pouvoir des Romains et de César. Il en faut dire autant de ses fils les Tétrarques, dont l'un s'appelait Hérode, comme son père, et s'entendit avec Pilate lors de la passion du Seigneur[^4]. Ces étrangers étaient si peu regardés comme appartenant au royaume mystique des Juifs, que les Juifs eux-mêmes, frémissant de rage contre le Christ, s'écriaient : « Nous n'avons pas d'autre roi que César[^5] ». Cela n'était vrai qu'en ce sens que les Romains dominaient le monde entier : car César n'était pas proprement le roi des Juifs; mais ils se condamnaient ainsi eux-mêmes dans le double but de rejeter le Christ et de flatter César.
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Matt. XXVII, 34.
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Gen. III, 21.
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Luc, XXIII, 12.
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Jean, XIX, 15.