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De la trinité
CHAPITRE XIV.
DIFFÉRENCE ENTRE LA SAGESSE ET LA SCIENCE. LE CULTE DE DIEU CONSISTE DANS SON AMOUR. COMMENT LA SAGESSE DONNE LA CONNAISSANCE INTELLECTUELLE DES CHOSES ÉTERNELLES.
La science a aussi sa juste mesure: c’est quand ce qui enfle ou a coutume d’enfler en elle est dominé par la charité éternelle qui, elle, n’enfle pas, comme nous le savons, mais édifie (I Cor., VIII, 1 ). Sans la science, en effet, on ne saurait acquérir les vertus qui font la bonne conduite et guident à travers cette misérable vie, de manière à atteindre la vie éternelle, qui est proprement la vie heureuse.
- Cependant il y a une différence entre la contemplation des choses éternelles et l’action qui consiste dans l’usage des choses temporelles : la première est attribuée à la sagesse, la seconde à la science. Quoiqu’on puisse aussi donner à la sagesse proprement dite le nom de science, dans le sens où l’Apôtre dit « Maintenant je connais imparfaitement; mais alors je saurai aussi bien que je suis connu moi-même (Id., XIII, 12 ) » — et par science, il entend ici évidemment la contemplation de Dieu, qui est la sublime récompense des saints; —cependant quand le même Apôtre dit ailleurs : « A l’un est donnée par l’Esprit la parole de sa gesse, à un autre la parole de la science « selon le même Esprit (Id., XII, 8 ), il distingue sans aucun doute entre ces deux choses, bien qu’il n’explique pas en quoi elles diffèrent ni à quel signe on peut les reconnaître. Mais en lisant et relisant les saintes Ecritures , j’ai trouvé, dans le livre de Job, ces paroles attribuées au saint homme: « La piété, voilà la sagesse; la fuite du mal, voilà la science (Job., XXVIII, 28 )». Cette distinction fait comprendre que la sagesse appartient à la contemplation et la science à l’action. Par piété, Job entend ici le culte de Dieu, ce que les Grecs appellent (503) Theosebeia ; car c’est là le terme qui se lit dans les exemplaires grecs.
Mais, dans les choses éternelles, qu’y a-t-il de plus grand que Dieu, dont la nature est la seule immuable? Et qu’est-ce que son culte, sinon son amour, qui nous fait désirer de le voir, et croire et espérer que nous le verrons? Or, en proportion de nos progrès, « nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme, mais alors » nous le verrons dans sa manifestation. Car c’est ce que l’Apôtre veut dire par ces mots « face à face (I Cor., XIII, 12 ) » , et aussi ce qu’exprime saint Jean en ces termes : « Mes bien-aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu, mais on ne voit pas encore ce que nous serons; nous savons que lorsqu’il apparaîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est (I Jean, III, 2 ) ». Dans ces passages et dans tous ceux de ce genre, il me semble qu’il est question de la sagesse; tandis que la. fuite du mal, que Job appelle la science, appartient sans aucun doute à l’ordre temporel. Car c’est dans le temps que nous sommes sujets aux maux que nous devons éviter pour arriver aux biens éternels. Par conséquent tout ce que nous faisons avec prudence, force, tempérance et justice, appartient à cette science ou doctrine qui règle nos actions en vue d’éviter le mal et de nous procurer le bien. Il en est de même de tous les exemples à rejeter ou à imiter, et de tous les documents propres à éclairer notre conduite, qui nous sont fournis par la connaissance de l’histoire.
- Il me semble donc que tout ce qu’on dit là-dessus se rapporte à la science, et qu’il ne faut pas confondre ce langage avec celui qui a trait à la sagesse, à laquelle appartient, non ce qui a été ou ce qui sera, mais ce qui est : toutes les choses qui sont dites passées, présentes et futures à cause de l’éternité où elles existent, sans aucun changement dû au temps. Car elles n’ont pas été pour cesser d’être, ni elles ne laissent pas d’être à présent pour exister à l’avenir; mais l’être qu’elles ont aujourd’hui, elles l’ont toujours eu et l’auront à jamais. Or, leur existence n’est point locale, comme celle du corps; mais, dans leur nature immatérielle, elles sont aussi intelligibles et perceptibles pour le regard de l’intelligence, que les objets qui occupent l’esprit sont visibles ou palpables pour les sens du corps. Et non-seulement les raisons intellectuelles et immatérielles des choses sensibles occupant l’espace subsistent sans être dans l’espace; mais les raisons mêmes des mouvements passagers, intellectuelles, elles aussi, et non sensibles, subsistent en dehors du cours du temps. Il n’est donné qu’à un petit nombre de les atteindre par le regard de l’âme; et quand on y parvient — autant que cela est possible —l’esprit ne saurait s’y fixer; son regard est comme repoussé, il ne peut songer qu’en passant à des choses qui ne passent pas.
Cependant cette pensée, en passant par les enseignements que l’âme reçoit, tombe dans le domaine de la mémoire, où elle pourra du moins revenir, puisqu’elle ne peut pas s’y fixer. Et si elle ne revient pas à la mémoire, pour y retrouver ce qu’elle lui avait confié, alors, comme une ignorante, elle sera reconduite comme la première fois à la source où elle avait d’abord puisé, dans la vérité immatérielle, d’où le type serait de nouveau imprimé dans la mémoire. Si par exemple la raison d’un corps carré reste en elle-même immatérielle et immuable, la pensée de l’homme ne saurait cependant s’y fixer, à supposer qu’il puisse la concevoir en dehors de l’espace local. Ou encore si le rythme d’un son produit par l’art de la musique, en passant à travers le temps, peut être saisi, on peut aussi, en dehors du temps, dans un intime et profond silence, y penser au moins tant qu’on peut l’entendre chanter; cependant ce que le regard de l’âme en aura pris en passant et comme au vol, qu’elle aura ensuite savouré, digéré et mis en réserve dans sa mémoire, elle pourra le ruminer, pour ainsi dire en souvenir et faire passer dans ses connaissances acquises ce qu’elle aura ainsi appris. Que si l’oubli a tout effacé, l’enseignement peut ramener de nouveau ce qui était entièrement perdu et le faire retrouver tel qu’il était.
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De Trinitate
XIV.
[XIV] Habet enim et scientia modum suum bonum si quod in ea inflat vel inflare assolet aeternorum caritate vincatur, quae non inflat sed, ut scimus, aedificat. Sine scientia quippe nec virtutes ipsae quibus recte vivitur possunt haberi per quas haec vita misera sic gubernetur ut ad illam quae vere beata est perveniatur aeternam.
[22] Distat tamen ab aeternorum contemplatione actio qua bene utimur temporalibus rebus, et illa sapientiae, haec scientiae deputatur. Quamvis enim et illa quae sapientia est possit scientia nuncupari sicut et apostolus loquitur ubi dicit: Nunc scio ex parte, tunc autem cognoscam sicut et cognitus sum, quam scientiam profecto contemplationis dei vult intellegi quod sanctorum summum erit praemium; tamen ubi dicit: Alii quidem datur per spiritum sermo sapientiae, alii sermo scientiae secundum eundem spiritum, haec utique duo sine dubitatione distinguit, licet non ibi explicet quid intersit et unde possit utrumque dinosci. Verum scripturarum sanctarum multiplicem copiam scrutatus invenio scriptum esse in libro Iob eodem sancto viro loquente: Ecce pietas est sapientia; abstinere autem a malis scientia est. In hac differentia intellegendum est ad contemplationem sapientiam, ad actionem scientiam pertinere. ‚Pietatem‘ quippe hoc loco posuit ‚dei cultum‘ quae Graece dicitur θεοσέβεια; nam hoc verbum habet ista sententia in codicibus Graecis. Et quid est in aeternis excellentius quam deus cuius solius immutabilis est natura? Et quis cultus eius nisi amor eius quo nunc desideramus eum videre credimusque et speramus nos esse visuros, et quantum proficimus videmus nunc per speculum in aenigmate, tunc autem ‚in manifestatione‘? Hoc est enim quod ait apostolus Paulus, facie ad faciem; hoc etiam quod Iohannes: Dilectissimi, nunc filii dei sumus, et nondum apparuit quod erimus. Scimus quia cum apparuerit, similes ei erimus quoniam videbimus eum sicuti est. De his atque huiusmodi sermo ipse mihi videtur esse sermo sapientiae. Abstinere autem a malis quam Iob scientiam dixit esse rerum procul dubio temporalium est quoniam secundum tempus in malis sumus, a quibus abstinere debemus ut ad illa bona aeterna veniamus. Quamobrem quidquid prudenter, fortiter, temperanter et iuste agimus ad eam pertinet scientiam sive disciplinam qua in evitandis malis bonisque appetendis actio nostra versatur, et quidquid propter exempla vel cavenda vel imitanda et propter quarumque rerum quae nostris adcommodata sunt usibus necessaria documenta historica cognitione colligimus.
[23] De his ergo sermo cum fit, eum scientiae sermonem puto discernendum a sermone sapientiae ad quam pertinent ea quae nec fuerunt nec futura sunt sed sunt, et propter eam aeternitatem in qua sunt et fuisse et esse et futura esse dicuntur sine ulla mutabilitate temporum. Non enim sic fuerunt ut esse desinerent aut sic futura sunt quasi nunc non sint, sed id ipsum esse semper habuerunt, semper habitura sunt. Manent autem non tamquam in spatiis locorum fixa veluti corpora, sed in natura incorporali sic intellegibilia praesto sunt mentis aspectibus sicut ista in locis visibilia vel contrectabilia corporis sensibus. Non autem solum rerum sensibilium in locis positarum sine spatiis localibus manent intellegibiles incorporalesque rationes, verum etiam motionum in temporibus transeuntium sine temporali transitu stant etiam ipsae utique intellegibiles, non sensibiles. Ad quas mentis acie pervenire paucorum est, et cum pervenitur quantum fieri potest, non in eis manet ipse perventor, sed veluti acies ipsa reverberata repellitur et fit rei non transitoriae transitoria cogitatio. Quae tamen cogitatio transiens per disciplinas quibus eruditur animus memoriae commendatur ut sit quo redire possit quae cogitur inde transire, quamvis si ad memoriam cogitatio non rediret atque ibi quod commendaverat inveniret, velut rudis ad hoc sicut ducta fuerat duceretur idque inveniret ubi primum invenerat, in illa incorporea veritate unde rursus quasi descriptum in memoria figeretur. Neque enim sicut manet verbi gratia quadrati corporis incorporalis et immutabilis ratio sic in ea manet hominis cogitatio, si tamen ad eam sine phantasia spatii localis potuit pervenire. Aut si alicuius artificiosi et musici soni per moras temporis transeuntis numerositas comprehendatur sine tempore stans in quodam secreto altoque silentio, tamdiu saltem cogitari potest quamdiu potest ille cantus audiri; tamen quod inde rapuerit etsi transiens mentis aspectus et quasi glutiens in ventre ita in memoria reposuerit, poterit recordando quodam modo ruminare et in disciplinam quod sic didicerit traicere. Quod si fuerit omnimoda oblivione deletum, rursus doctrina duce ad id venietur quod penitus exciderat et sic invenietur ut erat.