CHAPITRE VI.
POURQUOI, QUAND TOUS DÉSIRENT LB BONHEUR, PRÉFÈRE-T-ON CE QUI ÉLOIGNE DU BONHEUR.
- Puisque la vie heureuse est à ces deux conditions, puisque tous la connaissent, que tous la désirent, pourquoi les hommes, quand ils ne peuvent réunir ces deux conditions, préfèrent-ils avoir tout ce qu’ils désirent, plutôt que de n’avoir que de bons désirs, même sans la possession? Est-ce donc par un effet de la dépravation humaine, que les hommes, sachant qu’on ne peut être heureux quand on n’a pas ce que l’on désire, ni quand on possède ce qu’on ne doit pas désirer, mais seulement quand on possède tous les biens qu’on désire et qu’on ne désire rien de mauvais : que sachant cela, dis-je, et ne pouvant réunir ces deux conditions nécessaires au bonheur, ils préfèrent ce qui éloigne du bonheur — car celui qui possède l’objet de coupables désirs en est bien plus éloigné que celui qui ne possède point l’objet de ses désirs — tandis qu’on devrait bien plutôt choisir et préférer le désir du bien, même sans la possession de l’objet désiré? Car celui-là est bien près du bonheur, qui ne veut absolument que le bien, que ce qui le rendra heureux quand il le possédera. Et certainement ce n’est pas le mal, mais le bien, qui procure le bonheur, quand bonheur il y a; et c’est déjà un bien et un bien d’un grand prix, d’avoir la bonne volonté, celle qui désire jouir des biens dont la nature humaine est capable, et nullement du mal qu’elle peut commettre ou posséder; qui ne recherche les biens de cette misérable vie qu’avec (511) prudence, tempérance, force, esprit de justice, et les acquiert dans la mesure de ses forces, de manière à rester bonne au milieu des maux, et à atteindre un jour le bonheur, quand tous les maux seront finis et tous les biens accomplis.
