CHAPITRE X.
AUCUN MOYEN N’ÉTAIT PLUS CONVENABLE QUE L’INCARNATION DU VERBE POUR DÉLIVRER L’HOMME DES MISÈRES DE CETTE VIE MORTELLE. NOS MÉRITES SONT DES DONS DE DIEU.
C’est peu de réfuter ceux qui disent: Dieu n’avait-il donc pas d’autre moyen de délivrer l’homme des misères de cette vie mortelle, que d’exiger que son Fils unique, Dieu éternel comme lui, se fît homme, en prenant une âme et un corps semblables aux nôtres, devint mortel et souffrît la mort? c’est peu, dis-je, de leur répondre en affirmant que ce moyen était bon, que Dieu, en daignant nous délivrer par Jésus-Christ homme et Médiateur entre Dieu et les hommes, a agi d’une manière conforme à sa dignité. Il faut aussi leur prouver que si Dieu, dont le domaine sur toutes choses est absolu, ne manquait pas d’autres moyens également possibles, il n’y en avait pas, et n’y en pouvait avoir de plus convenable pour guérir notre misère. Etait-il rien, en effet, de plus nécessaire, pour ranimer notre espérance, pour relever nos âmes abattues sous le fardeau de notre condition mortelle, les empêcher de désespérer de l’immortalité, que de nous faire voir combien Dieu nous estimait, et combien il nous aimait? Or, était-il possible d’en donner une preuve plus claire, plus éclatante que celle-là: le Fils de Dieu, immuablement bon, restant ce qu’il était en lui-même, prenant de nous et pour nous ce qu’il n’était pas; daignant, sans rien perdre de sa propre nature, revêtir la nôtre; portant le poids de nos péchés, sans en avoir commis aucun; et aussitôt que nous croyons à l’étendue de son amour, et que nous rentrons dans nos espérances perdues, nous versant ses dons, par pure générosité, sans que nous les ayons mérités en rien par (514) des bonnes oeuvres, après même que nous nous en sommes rendus indignes par nos fautes?
Car ce que nous appelons nos mérites, ne sont pas autre chose que ses dons. En effet, pour que la foi agisse par la charité (Gal., V, 6 ), « la charité de Dieu est répandue en nos coeurs par l’Esprit- Saint qui nous a été donné (Rom., V, 5) ». Or l’Esprit nous a été donné après que Jésus a été glorifié par sa résurrection. Il avait promis de l’envoyer alors, et il l’a envoyé (Jean, XX, 22, VII, 39, XV, 26. ) ; parce que c’était alors que s’était vérifié ce qui avait été écrit et prédit de lui: « Montant au ciel, il a conduit une captivité captive : il a donné des dons aux hommes ( Eph., IV, 8 ; Ps., LXVII, 19 ) ». Ces dons, ce sont nos mérites, à l’aide desquels nous parvenons au souverain bien, l’immortelle félicité. « Dieu », dit l’Apôtre, « témoigne son amour pour nous en ce que, dans le temps où nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous. Maintenant donc, justifiés par son sang, nous serons, à plus forte raison, délivrés par lui de la colère ». Ceux qu’il appelait d’abord pécheurs, il les appelle ensuite ennemis de Dieu; ceux qu’il disait justifiés parle sang du Christ, il les dit ensuite réconciliés par la mort du Fils de Dieu; ceux qu’il faisait voir délivrés par lui de la colère, il les montre ensuite délivrés par sa vie. Ainsi, avant d’avoir reçu cette grâce, nous n’étions pas des pécheurs quelconques, mais pécheurs jusqu’à être ennemis de Dieu. Or, plus haut le même Apôtre nous avait appliqué, à nous pécheurs et ennemis de Dieu, deux expressions, dont l’une semble un terme radouci, mais dont l’autre est un terme effrayant, quand il disait: « En effet, le Christ, lorsque nous étions encore infirmes, est mort, au temps marqué, pour des impies (Rom., V, 6-10 ) ». Ces infirmes, il les appelle impies. Sans doute l’infirmité est peu grave par elle-même; mais elle peut aller jusqu’à s’appeler impiété. Or, s’il n’y avait pas d’infirmité, il n’y aurait pas besoin de médecin; et c’est le sens du mot hébreu « Jésus », en grec Soter en latin « Salvator ». La langue latine ne connaissait pas ce mot; elle pouvait se le donner, et elle l’a pris dès qu’elle l’a voulu. Mais ces mots de l’Apôtre: « Lorsque nous étions encore infirmes, il est mort, au temps marqué, pour « des impies », se rattachent étroitement aux deux expressions de pécheurs et d’ennemis de Dieu qui viennent ensuite, comme s’il eût voulu rapprocher l’infirmité et le péché, l’inimitié de Dieu et l’impiété.
