CHAPITRE XVI.
LA MORT ET LES MAUX DE CE MONDE TOURNENT AU BIEN DES ÉLUS. COMBIEN ÉTAIT CONVENABLE LA MORT DU CHRIST POUR NOUS JUSTIFIER. CE QUE C’EST QUE LA COLÈRE DE DIRE.
- Bien que la mort de la chair ait pris son origine dans le péché du premier homme, cependant son saint usage a fait de très-glorieux martyrs. Voilà pourquoi, non-seulement la mort, mais tous les maux de ce monde, les douleurs et les travaux des hommes, quoique résultant du péché, et surtout du péché originel, qui a enchaîné la vie à la mort, ont dû subsister après la rémission des péchés, pour donner à l’homme l’occasion de combattre pour la vérité, pour exercer la vertu des fidèles, afin que le nouvel homme se préparât par un nouveau testament à une vie nouvelle, à travers les maux de ce monde, en supportant courageusement la misère que lui a attirée une vie coupable, en se félicitant humblement de la voir bientôt finir, en attendant avec patience et fidélité le bonheur qui sera le partage immortel de la vie future complètement affranchie.
Car le démon expulsé du domaine et des coeurs des fidèles, sur lesquels il régnait à raison de leur condamnation et de leur infidélité, quoique condamné lui-même, le démon, dis-je, n’a permission de les combattre que durant cette existence mortelle, et dans la mesure où le juge utile à leurs intérêts Celui dont les saintes Ecritures nous disent hautement par la bouche de l’Apôtre : « Dieu est fidèle et il ne souffrira pas que vous soyez tentés par-dessus vos forces; mais il vous fera tirer profit de la tentation même, afin que vous puissiez persévérer (I Cor., X, 13 ) ». Or, ces maux pieuse ment supportés par les fidèles servent ou à expier les péchés, ou à-exercer et éprouver la vertu, ou à faire ressortir la misère de cette vie afin de faire désirer plus vivement et chercher avec plus d’ardeur cette autre vie, où le bonheur sera véritable et immortel. Mais là-dessus nous nous eu tenons à ce que dit l’Apôtre: « Or, nous savons que tout coopère au bien pour ceux qui aiment Dieu, pour ceux qui selon son décret, sont appelés à être saints. Car ceux qu’il a connus par sa prescience, il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils, afin qu’il fût lui-même le premier-né entre beaucoup de frères. Et ceux qu’il a prédestinés. il les a appelés; et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés». De ces prédestinés pas un seul ne périra avec le démon; pas un seul ne restera sous la puissance du démon jusqu’à la mort. Puis
l’Apôtre ajoute ce que j’ai déjà cité plus haut: « Que dirons-nous donc après cela? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? Lui qui n’a pas épargné même son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous, comment ne nous aurait-il pas donné toutes choses avec lui (Rom., VIII, 32 ) ? »
- Pourquoi la mort du Christ n’aurait-elle pas eu lieu ? Bien plus, pourquoi, parmi les innombrables moyens que le Tout-Puissant avait à sa disposition, pour nous délivrer, n’aurait-il pas donné la préférence à celui-ci ? Sa divinité ne perdait rien, ne subissait aucun changement. Et son Fils, en revêtant notre humanité, procurait aux hommes cet immense avantage, que la mort temporelle et nullement due de celui qui était tout à la fois Fils éternel de Dieu et fils de l’homme, les délivrerait de la mort éternelle qu’ils avaient méritée. Le démon tenait nos péchés sous sa main, et par eux nous clouait justement à la mort. Celui qui n’en avait pas commis, les a pardonnés, et a été condamné à la mort par le démon contre toute justice. Or, son sang a été d’un tel prix, que celui même qui avait fait souffrir au Christ une mort temporelle et imméritée, n’a pu retenir dans la mort éternelle aucun de ceux qui l’avaient encourue, dès qu’ils ont été revêtus du Christ. « Ainsi, Dieu témoigne son amour pour nous, en ce que, dans le temps où nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous. Maintenant donc, justifiés par son sang, nous serons, à plus forte raison, délivrés par lui de la colère ». « Justifiés par son sang », dit l’Apôtre ; évidemment (519) en ce que nous sommes délivrés de tous les péchés; mais délivrés de tous les péchés parc que le Fils de Dieu, qui n’avait pas de péché a été mis à mort pour nous. « Nous serons donc délivrés par lui de la colère ». Car la colère n’est pas chez Dieu comme chez l’homme un trouble de l’âme. C’est la colère de celui à qui l’Ecriture sainte dit ailleurs: « Pour vous Seigneur des vertus, vous jugez avec calme (Sag., XII, 18 ) ». Eh bien! si c’est là le nom de la juste vengeance de Dieu, qu’est-ce que la vraie réconciliation avec lui sinon la fin de ce courroux ? Nous étions ennemis de Dieu, exactement dans le même sens que les péchés sont ennemis de la justice; ces péchés une fois remis, toutes ces inimitiés disparaissent, et Dieu se réconcilie avec le juste qu’il justifie lui-même. Mais ces ennemis, il les aimait déjà : puisqu’il « n’a point épargné même son propre Fils, mais qu’il l’a livré pour nous tous », dans le temps où nous étions encore pécheurs. L’Apôtre a donc raison d’ajouter ensuite: « Car si lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils », mort qui a procuré la rémission des péchés, « à bien plus forte raison, réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie»: sauvés par sa vie, après avoir été réconciliés par sa mort. Qui peut, en effet, douter qu’il donnera sa vie à ses amis, lui qui leur a donné sa mort quand ils étaient ses ennemis?
« Non-seulement cela », continue l’Apôtre « mais nous nous glorifions en Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui maintenant nous avons obtenu la réconciliation ». « Non-seulement», dit-il, nous serons sauvés, « mais nous nous glorifions, non pas en nous, mais en Dieu », ni par nous, mais « par Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui maintenant nous avons obtenu la réconciliation», dans le sens que nous avons expliqué plus haut. Après quoi l’Apôtre ajoute: « C’est pourquoi, comme le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché, ainsi la mort a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (Rom., V, 8-12 )». Et la suite du texte, où l’Apôtre parle plus au long des deux hommes : l’un, le premier Adam, celui qui a transmis à sa postérité deux maux héréditaires, le péché et la mort; l’autre, le second Adam, qui n’est pas homme seulement, mais aussi Dieu, qui, en payant pour nous ce qu’il ne devait pas, nous a affranchis des dettes de notre père et des nôtres. Et comme le démon nous tenait tous sous son esclavage à cause du premier Adam qui nous avait engendrés par sa concupiscence viciée et charnelle, il est juste qu’il nous laisse tous libres à cause du second Adam qui nous a régénérés par sa grâce spirituelle et immaculée.
