CHAPITRE XV.
LE MONT SINAÏ.
- Quant aux prodiges qui éclatèrent sur le mont Sinaï, l’on connaît assez la nuée lumineuse, les éclats de la foudre, le bruit des voix et des trompettes, et les tourbillons de fumée. D’ailleurs, voici le texte même du livre de l’Exode : « Tout le mont Sinaï fumait, parce que le Seigneur y était descendu au milieu du feu, et la fumée de ce feu montait comme d’une fournaise; tout le peuple fut grandement épouvanté, et le son de la trompette augmentait de plus en plus, et Moïse parlait, et Dieu lui répondait (Id., XIX, 18, 19) ». L’écrivain sacré dit encore, après avoir raconté la promulgation des dix commandements de la loi, que « le peuple voyait les éclairs et la fumée de la montagne, et qu’il entendait le tonnerre et le son de la trompette. Il se tint donc au loin, ajoute-t-il un peu plus bas; mais Moïse entra dans la nuée où était Dieu, et Dieu parla à Moïse( Id., XX, 18, 21 ) ». Que dirai-je ici? Mais d’abord qui serait assez insensé pour croire que la fumée, le feu, la nuée, et les autres prodiges étaient la substance même du Saint-Esprit, ou la personne du Verbe divin que nous nommons le Christ et la Sagesse de Dieu? Quant à y voir Dieu le Père, les Ariens eux-mêmes n’ont jamais osé le dire. Ainsi tous ces prodiges se réalisèrent par l’intermédiaire de différentes créatures qui, soumises au Créateur, en rendaient la présence sensible aux yeux des Israélites. Néanmoins, parce qu’il est dit « que Moïse entra dans la nuée où était « Dieu », quelques-uns croient qu’il vit réellement de ses propres yeux la substance du Fils, tandis que le peuple n’apercevait que la nuée. Mais ce n’est ici qu’une folle imagination des hérétiques.
Eh quoi ! Moïse aurait vu de ses propres yeux la substance du Verbe éternel, que nous nommons le Christ et la Sagesse de Dieu, lorsque nous ne pouvons même voir l’âme d’un sage, ni de tout autre homme ! Sans doute il est écrit des vieillards d’Israël, « qu’ils virent le (381) Dieu d’Israël, et sous ses pieds comme un ouvrage de saphir, et comme le ciel lorsqu’il est serein ( Exod., XXIV, 10 ) ». Mais faut-il en conclure que le Verbe qui est la Sagesse de Dieu s’est circonscrit substantiellement dans un certain espace, lui qui « atteint d’une extrémité à l’autre avec force, et qui dispose toutes choses avec douceur ( Sag., VIII, 1 ) ». Ainsi le Verbe divin, par qui tout a été fait, serait soumis au changement, et selon les circonstances se dilaterait et se resserrerait! Ah! plaise au Seigneur de ne jamais permettre que de telles pensées souillent le coeur de ses enfants! Mais, comme je l’ai dit souvent, tous ces différents prodiges se réalisèrent au moyen de créatures visibles et sensibles qui annonçaient la présence du Dieu invisible et spirituel. Or, ce Dieu est la Trinité entière, Père, Fils et Saint-Esprit, Trinité « de laquelle, en laquelle et par laquelle sont toutes choses. Car les perfections invisibles de Dieu, aussi bien que son éternelle puissance, sont devenues visibles depuis la création du monde par ce qui a été fait ( Rom., XI, 36, I, 20 ). »
- Cependant, en ce qui concerne la question qui nous occupe en ce moment, je ne saurais déterminer, si c’était la Trinité entière, ou bien une seule des trois personnes divines qui se fit alors entendre au milieu des effrayants prodiges qui s’accomplissaient sur le mont Sinaï. Néanmoins, il est permis de conjecturer avec modestie et avec réserve, qu’ici l’action de l’Esprit-Saint se révèle tout spécialement. Car il est dit que le Seigneur écrivit de son doigt la loi sur deux tables de pierre. Or, dans l’Evangile, le Saint-Esprit est appelé le doigt de Dieu ( Exod., XXXI, 18 ; Luc, XI, 20 ). De plus, cinquante jours sont comptés depuis l’immolation de l’agneau et la célébration de la pique jusqu’à la promulgation de la loi sur le Sinaï; et de même cinquante jours après la résurrection de Jésus-Christ, l’Esprit-Saint, qu’il avait promis descendit sur les apôtres. Nous lisons encore au livre des Actes, que cet Esprit divin parut sous la forme de langues de feu, qui se divisèrent et se reposèrent sur la tête de chacun des apôtres ( Act., II, 1-4 ). Mais n’est-ce pas aussi ce que nous raconte l’écrivain sacré? « Tout le mont Sinaï », dit-il, « fumait, parce que le Seigneur y était descendu au milieu du feu : et l’aspect de la gloire du Seigneur était au sommet de la montagne comme un feu ardent devant les yeux des enfants d’Israël ( Exod., XIX, 18, XXI, 16 ) ». Peut-être aussi ces divers signes marquaient-ils seulement que le Saint-Esprit, qui devait écrire la loi, apparaissait sur la montagne conjointement avec le Père et le Fils. Au reste, il est bien entendu que Dieu, qui est de sa nature invisible et immuable, ne se montra alors que sous les dehors d’une créature visible et matérielle. Toutefois, je ne saurais à mon point de vue, préciser quelle fut celle des trois personnes divines qui apparut.
