CHAPITRE III.
L’UTILITÉ DE LA MORT ET DE LA RÉSURRECTION DE JÉSUS-CHRIST.
- Ce qui m’importe en ce moment, c’est d’expliquer, du moins autant que Dieu m’en fera la grâce, comment Jésus-Christ Notre-Seigneur et notre Sauveur, étant une seule personne, a pu se mettre en rapport avec la dualité humaine, et comment il a pu ainsi opérer notre salut. Et d’abord nul catholique ne révoque en doute que nous ne soyons soumis à la mort de l’âme et à celle du corps. La première est un effet du péché, et la seconde est la peine de ce même péché, qui devient ainsi l’auteur de cette double mort. Il fallait donc que l’homme dans son ensemble, c’est-à-dire en son âme et en son corps, s’appliquât un remède de vie et d’immortalité, afin que tout ce qui avait été détérioré en lui, fût renouvelé. Or, la mort de l’âme est le péché mortel, et la mort du corps est la corruption qui sépare l’âme d’avec le corps. Ainsi, lorsque Dieu (405) s’éloigne de l’âme, elle meurt, et lorsqu’ elle-même s’éloigne du corps, il meurt. Dans le premier cas, l’âme devient insensée; et dans le second, le corps devient cadavre. Mais l’âme ressuscite à la grâce par la pénitence, et elle reprend dans un corps encore soumis à la mortalité, une vie qui commence par la foi, parce qu’elle croit en celui qui justifie l’impie, et qui s’augmente et se fortifie chaque jour par la pratique des vertus et le renouvellement de plus en plus parfait de l’homme intérieur.
Quant à l’homme extérieur , c’est-à-dire quant au corps, plus son existence se prolonge, et plus il se corrompt par l’âge, les maladies et les diverses épreuves de la vie, jusqu’à ce qu’il arrive à cette dernière que nous appelons la mort. Mais sa résurrection est différée jusqu’au dernier jour, parce qu’alors seulement l’oeuvre de notre justification sera pleinement consommée. Car « nous serons semblables à Dieu, parce que nous le verrons tel qu’il est (Jean, III, 2 ) ». Aujourd’hui au contraire, tandis que le corps qui se corrompt, appesantit l’âme, et que sur la terre notre vie est une tentation continuelle, nul homme vivant ne peut obtenir devant le Seigneur cette plénitude de justice qui nous rendra égaux aux anges, et qui sera comme l’apogée de notre gloire. Au reste, il serait ici bien inutile de prouver longuement que nous devons distinguer la mort de l’âme de la mort du corps. Car le Sauveur lui-même a nettement établi cette distinction dans cette maxime évangélique : « Laissez les morts ensevelir leurs morts (Matt., VIII, 22 ) ». Un cadavre doit être enseveli; qui ne le comprend? c’est pourquoi en parlant de ceux qui s’occupaient de ce triste ministère, Jésus-Christ s’est proposé de nous désigner ces hommes dont l’âme est morte par le péché, et que l’Apôtre veut ressusciter à la grâce, quand il leur dit: « Levez-vous, vous qui dormez: sortez d’entre les morts, et Jésus-Christ vous éclairera (Eph. V, 14 ) ».
Dans un autre passage , le même Apôtre signale encore avec douleur ce même genre de mort, lorsqu’il dit de la veuve frivole et mondaine que « vivant dans les délices, elle est morte, quoiqu’elle paraisse vivante ( I Tim., V, 6 ) ». Ainsi on dit de l’âme qui a perdu la grâce, que revenant à la justice qui agit par la foi, elle ressuscite et reprend une nouvelle vie. Le corps, au contraire, ne meurt réellement que par sa séparation d’avec l’âme; mais en tant
qu’il coopère aux oeuvres de la chair et du sang, l’Apôtre dit dans son épître aux Romains
qu’il est mort. Voici ses paroles: « Si Jésus-Christ est en vous, quoique le corps soit mort à cause du péché, l’esprit est vivant à cause de la justice». Or, cette vie n’est autre que la vie de la foi, puisque, selon le même Apôtre, « le juste vit de la foi (Rom., I, 17 ) ». Ensuite il
continue ainsi : « Mais si l’esprit de celui qui a ressuscité Jésus, habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ rendra aussi la vie à vos corps mortels, à cause de son esprit qui habite en vous (Rom., VIII, 10, 11 ) ».
- C’est donc de cette double mort que le Sauveur Jésus nous a rachetés en mourant une seule fois. Aussi nous a-t-il laissé dans sa propre mort le mystère et l’exemple de notre double résurrection. Et en effet, comme il était le Juste par excellence, il n’a pu ni mourir à la grâce, ni avoir besoin de renouveler en lui-même l’homme intérieur, ni être obligé de revenir par la pénitence à la vie de la justice. Mais parce qu’il avait pris une chair passible et mortelle, il est mort, et est ressuscité en tant qu’homme; et il nous offre ainsi en sa personne le mystère de notre résurrection spirituelle et l’exemple de notre résurrection corporelle. C’est à la première, qui suppose la mort de l’âme, que se rapportent ces paroles du Psalmiste, paroles que Jésus-Christ a prononcées sur la croix: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné? (Ps., XXI, 1 ; Matt., XXVII, 46 ) »De son côté, l’Apôtre semble commenter ces mêmes paroles, quand il nous dit «que notre vieil homme a été crucifié avec Jésus-Christ, afin que le corps du péché soit détruit, et que désormais nous ne soyons plus esclaves du péché ». Et en effet, le pécheur est crucifié en son âme par la douleur de la contrition, et il l’est encore en son corps par les rigueurs d’une mortification salutaire. Mais en laissant le pécheur sous cette double pression, Dieu lui facilite les moyens de faire mourir en lui le péché. Voilà donc la croix où expire le corps du péché, afin que nous « n’abandonnions plus nos membres au péché « comme des instruments d’iniquité ( Rom., VI, 6, 13 )».
D’un autre côté, s’il est vrai que l’homme intérieur se renouvelle en nous de jour en jour, on ne saurait nier que d’abord il n’ait été (406) le vieil homme. C’est en effet en l’intérieur de l’âme que s’accomplit cette parole de l’Apôtre: « Dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de l’homme nouveau ». Ce qu’il explique en disant que « nous devons renoncer au mensonge, et parler selon la vérité (Eph., IV, 22-25 ) ».Or, n’est-ce pas dans le secret de son âme que le juste renonce au mensonge, afin que disant la vérité dans son coeur, il habite sur la montagne sainte du Seigneur?
Bien plus, le mystère de cette résurrection spirituelle est renfermé dans celui de la résurrection corporelle de Jésus-Christ; et il nous en avertit lui-même, lorsqu’il dit à Madeleine: « Ne me touchez pas, car je ne suis pas encore remonté vers mon Père (Jean, XX, 17 ) ». C’est aussi à ce même mystère que se rapportent ces paroles de l’Apôtre : « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez les choses du ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu; et n’ayez de goût que pour les choses d’en-haut (Coloss., III, I, 2 ) ». Et en effet, ne point toucher le Christ avant qu’il soit remonté vers son Père, c’est ne se permettre à son égard aucune pensée basse et terrestre.
Quant à la mort corporelle que Jésus-Christ a daigné subir comme homme, elle nous est un exemple de celle que nous devons souffrir en notre chair. Car ses souffrances sont pour tous ses disciples une puissante exhortation à ne pas craindre « ceux qui tuent le corps, et «qui ne peuvent tuer l’âme (Matt., X, 28 )». Aussi l’Apôtre dit-il dans le même sens « qu’il accomplit en sa chair ce qui manque à la passion de Jésus-Christ (Coloss., I, 24 )». Nous trouvons également dans la réalité de sa résurrection corporelle le modèle et la certitude de notre propre résurrection, puisqu’il a dit à ses apôtres : « Touchez et voyez, car un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai ( Luc, XXIV, 39 ) ». Bien plus, ce ne fut qu’après avoir touché ses plaies, que l’un d’entre eux s’écria: « Mon Seigneur et mon Dieu ( Jean, XX, 28 ) ! » Or, cette réalité si évidente de la résurrection du Sauveur devenait pour les apôtres la démonstration de cette parole : « Pas un seul cheveu de votre tête ne périra ( Luc, XXI, 18 )». Pourquoi donc disait-il à Madeleine : « Ne me touchez point, car je ne suis « pas encore remonté vers mon Père », tandis qu’il permettait ensuite à ses apôtres de le toucher avant son ascension? C’est qu’il avait en vue, dans la première circonstance, le mystère de notre résurrection spirituelle, et dans la seconde, celui de notre résurrection corporelle. Il serait, en effet, par trop absurde et ridicule de soutenir avec quelques-uns qu’avant son ascension Jésus-Christ permit aux hommes de le toucher, et aux femmes, seulement après.
Au reste, l’Apôtre voyait en la résurrection du Christ le type et le modèle de la nôtre, quand il disait : « Chacun à son rang, Jésus-Christ d’abord, puis ceux qui sont à Jésus-Christ ( I Cor., V, 25 ) » ; d’ailleurs, le contexte de ce passage prouve qu’il s’agit ici de cette résurrection des corps au sujet de laquelle le même Apôtre a dit que « Jésus-Christ changera notre corps misérable, en le rendant conforme à son corps glorieux ( Philipp., III, 21) ». Ainsi, Jésus-Christ en mourant une seule fois, a remédié à la double mort de l’homme; et en ressuscitant une seule fois, il est devenu pour nous le divin exemplaire d’une double résurrection. Et en effet, son humanité sainte nous présente dans sa mort et dans sa résurrection le type sacré et le modèle salutaire de notre résurrection spirituelle et corporelle.